La Belgique a été la première à réagir : l’ancienne puissance colonisatrice, qui maintient des liens étroits avec la République démocratique du Congo (RDC), a convoqué ce lundi 16 septembre 2024 l’ambassadeur à Bruxelles de ce vaste pays d’Afrique centrale . Et dès dimanche, Hadja Lahbib, la ministre belge des Affaires étrangères, avait exprimé sa « vive inquiétude » après la condamnation à mort, prononcée vendredi, visant entre autres Jean-Jacques Wondo, un ressortissant belge d’origine congolaise. La cheffe de la diplomatie belge rappelait également «l’opposition absolue de la Belgique à la peine de mort».
Depuis la levée du moratoire sur la peine capitale en mars, la justice congolaise a déjà prononcé au moins 130 condamnations à mort, certes non exécutées pour l’instant. Auxquelles s’ajoute le 37 de ce vendredi. Elles concernent, outre Jean-Jacques Wondo, un expert des questions militaires congolaises et africaines, diplômé de plusieurs universités belges, cinq autres ressortissants occidentaux : trois Américains, un Britannique et un Canadien. Ce qui, pour le coup, est inédit. Pour l’instant ni les Etats-Unis, ni le Royaume-Uni, ni le Canada n’ont cependant réagi correctement.
Ces ressortissants occidentaux ont été condamnés à mort, parmi 51 prévenus, tous accusés d’avoir participé à une tentative rocambolesque de coup d’Etat qui s’est déroulée dans la nuit du 19 mai à Kinshasa dans une certaine confusion. Vers 4h30 du matin, des tirs retenus dans le quartier huppé de la Gombe qui regroupe le siège des principales institutions du pays ainsi que des ambassades étrangères. On apprend vite que le domicile de Vital Kamerhe, personnalité politique de premier plan, est attaqué par une cinquième assaillants en tenues militaires. Ces derniers réussissent à s’introduire dans la propriété qu’ils criblent de balles avant d’être délogés par l’arrivée de secours, non sans avoir tué auparavant deux policiers commis à la garde de Kamerhe.
Aucune résistance
Le commando se rend alors au palais de la Nation qui abrite les bureaux de la présidence, qu’il investit sans rencontrer étrangement aucune résistance. Des vidéos tournées sur place révèlent alors l’identité du chef des assaillants : Christian Malanga, un homme d’affaires installé de longue date aux Etats-Unis et fondateur d’un microparti d’opposition en exil. Il s’était rendu depuis peu à Kinshasa à la tête d’une délégation d’investisseurs, sans apparemment aucune intention belliqueuse.
Sur l’une de ces vidéos, on l’aperçoit pourtant vêtu d’un treillis militaire devant ce lieu de pouvoir déserté, interpellant avec un fort accent américain le président Félix Tshisekedi : «Nous sommes venus pour toi, Félix, espèce de nègre» («Nous sommes venus pour toi, Félix, Nigger»). Il déploie alors un drapeau du Zaïre, l’ancien nom de la RDC. Sauf qu’à cette heure-là, aucune chance de trouver «Félix» dans son bureau. « Qui a pu leur faire croire une chose pareille ? Quel intérêt d’investir le palais de la Nation à cette heure-là ?» s’interroge, incrédule, un avocat de Kinshasa, qui préfère parler sous couvert d’anonymat tant que l’affaire est sulfureuse. «Aujourd’hui, contester ouvertement la version des autorités peut vous conduire à être arrêté manu militari, pour être détenu au secret», s’excuse-t-il. Il fait référence à l’arrestation musclée de l’opposant Seth Kikuni le 2 septembre, après avoir souligné l’incurie des autorités lors de la tentative d’évasion, survenue la veille au sein de la prison centrale de Makala, qui s’est soldée par 131 morts. Une prison transformée en véritable mouroir, avec 15 000 détenus pour une capacité de 1 500, comme l’avait dénoncé en juillet le journaliste congolais Stanis Bujakera, qui a lui-même passé plusieurs mois dans cette prison.
Le 19 mai, les insurgés retranchés au palais de la Nation ont, eux aussi, ont été vite interpellés. Filmé alors qu’il était arrêté par les forces armées congolaises, Christian Malanga sera déclaré mort, son corps exhibé quelques heures plus tard sans aucune explication. Certains de ses complices tenteront, eux, de fuir en traversant le fleuve Congo qui sépare Kinshasa de Brazzaville, capitale de la République du Congo.
«Mare de sang dans l’eau»
Une fois de plus, ce sont des vidéos, cette fois tournées par les forces armées congolaises, qui racontent le déroulement de ces arrestations. Elles sont effrayantes. On y voit des militaires congolais abattre sans état d’âme des hommes qui tentent de fuir à la nage. «Les soldats lui tirent dessus plusieurs dizaines de fois jusqu’à ce qu’une mare de sang apparaît dans l’eau et qu’il ne remonte plus pour prendre sa respiration. Un soldat crie : «Il est mort !» et les tirs s’arrêté», dénoncera à propos de l’un de ces meurtres filmés en direct l’ONG Human Rights Watch (HRW), très circonspecte sur les circonstances exactes de cette étrange tentative de coup d’Etat. Dans la même vidéo, on aperçoit un homme blanc, à moitié dénudé et visiblement tétanisé, allongé sur le sol de la navette fluviale.
Il s’agit de Benjamin Zalman-Polun, 36 ans, père de trois enfants et résident de Washington DC. Ce citoyen américain, très investi dans le commerce du cannabis thérapeutique, n’a pas tout à fait le profil d’un mercenaire. Il se serait associé à Christian Malanga dans des affaires de contrats miniers au Mozambique, mais le procès n’a pas permis d’éclaircir ses motivations pour se fourvoyer ainsi dans cette hasardeuse tentative de coup d’Etat.
Et que dire de Taylor Christa Thomson, 21 ans ? Ce jeune homme au visage poupin, apparu le nez en sang lors de son arrestation, est un ami de lycée de Marcel Malanga, le fils de Christian, lui aussi citoyen américain, connu comme étant un partisan de Trump dans l’Utah. C’est Marcel Malanga qui aurait convaincu son ami de découvrir l’Afrique et notamment le pays d’origine de son père. «Il était parti en vacances en Afrique avec la famille d’un ami. Nous n’avons aucune idée sur la façon dont il a été impliqué dans ce coup d’État», a expliqué, visiblement sous le choc, sa belle-mère Miranda Thomson, au lendemain de l’arrestation du jeune homme qu’elle décrit. comme «un bon garçon, travailleur et respectueux» sur la chaîne américaine Fox News.
«Humaniser» les services secrets
Au cours du procès, Benjamin Zalman-Polun, Taylor Christa Thomson et même Marcel Malanga, ont tous trois affirmé avoir été soudainement forcés de porter des armes, le soir de l’attaque, sans avoir aucune idée de la finalité de cette mission. Quant à Jean-Jacques Wondo, condamné en tant que «cerveau» et «concepteur intellectuel» d’une tentative de coup d’Etat qui semble plutôt confuse, il n’a pas fait partie de cette aventure nocturne du 19 mai. La seule «preuve» l’incriminé réside dans une photo datant de 2016 où il apparaît aux côtés de Christian Malanga. Pour le reste, cet expert belge se trouvait à Kinshasa depuis février, invité par les autorités en tant que consultant, pour les aider à réformer et notamment « humaniser » les services secrets. Interpellé une première fois puis relâché le 21 mai, il est à nouveau convoqué et arrêté le lendemain.
«Son dossier est vide, à l’exception de cette photo avec Malanga, qui ne prouve rien», constate un peu perplexe un journaliste qui a suivi tout le procès, également sous anonymat par peur de représailles. D’autant qu’il en est convaincu : Wondo serait « victime d’un règlement de compte interne au sein de l’Agence nationale de renseignements (ANR). Ça n’a rien à voir avec l’attaque du 19 mai», comme l’affirme également le quotidien la Libre Belgique, très informé sur les jeux de pouvoir dans les coulisses du régime congolais. Quant aux autres prévenus, et notamment les trois Américains condamnés, les circonstances de leur implication et du déroulement rocambolesque de cette attaque n’ont pas plus été éclaircies, lors des audiences qui ont eu lieu dans la prison militaire de Ndolo à Kinshasa. Malgré les demandes des avocats, les membres de la garde républicaine supposés protéger le palais de la Nation n’ont pas été convoqués pour expliquer leur absence sur les lieux ce soir-là.
« Climat hostile »
Dans les jours qui avaient suivi l’attaque, Jean-Pierre Bemba, l’un des ténors du régime, a expliqué que «les assaillants étaient à la recherche de l’adresse de la Première ministre, Judith Tuluka Suminwa (nommée le 1er avril , ndlr)» et qu’à défaut de la trouver ils se seraient d’abord rendus au domicile de Bemba, avant de se diriger vers celui de Vital Kamerhe. Ce scénario hasardeux n’a guère convaincu les Congolais, qui dès le lendemain de l’attaque dénonçaient sur de nombreux groupes WhatsApp «une «mascarade», fomentée par un régime en perte de vitesse et de légitimité. «La multiplication des scandales de corruption, l’impasse dans laquelle se trouve la guerre dans l’est du pays, les violentes dissensions internes au sein du parti au pouvoir, réclamaient une sorte d’échappatoire. Est-ce la raison de cette tentative de coup d’Etat ? Christian Malanga n’a-t-il pas été manipulé ? Comment at-il pu croire pouvoir prendre le contrôle du pays à partir d’un palais des Nations déserté avec des hommes aussi peu aguerris ?» s’interroger notre avocat toujours sous couvert d’anonymat.
Lundi, le quotidien la Libre Belgique évoquant la convocation «peu banale» de l’ambassadeur de RDC à Bruxelles considérait que ces condamnations à mort constituaient «une ligne rouge» qui pourrait mettre un terme à la tolérance vis-à-vis d’un régime «embarqué sur une pente dangereuse, qui mène aux pires dérives dictatoriales».
Des inquiétudes relayées notamment en juin par le réseau Europe-Afrique centrale (EurAc), qui regroupe 33 ONG associées à l’Union européenne. Dans un communiqué, celui-ci a dénoncé «la nette augmentation des cas de violences et d’agressions à l’encontre de celles et ceux qui osent contester le pouvoir en place». Il ajoute que cette situation «confirme l’instauration d’un climat hostile à l’exercice des libertés fondamentales en RDC» et s’inquiète également de la levée du moratoire de la peine de mort «dans un pays à l’appareil judiciaire profondément dysfonctionnel».