Le Stade Tata Raphaël, symbole de l’action de l’Église dans le sport congolais.
La relation entre l’État congolais et l’Église catholique a toujours été marquée par des hauts et des bas. Tantôt l’Église est perçue comme un partenaire fidèle des pouvoirs publics, tantôt elle est invitée à se placer “au milieu du village”, une position qui soulève souvent des débats et des interprétations complexes. L’un des domaines où cette relation s’est révélée cruciale est le sport, un secteur qui, depuis la période coloniale au Congo, a tissé des liens étroits entre les deux institutions.
La politique sportive sous le Congo belge : une histoire de préjugés
L’histoire de la colonisation enseigne que dans l’acte de Berlin signé en 1885, la Métropole s’était arrogée la responsabilité de veiller à la conservation des populations indigènes, et à l’amélioration de leurs conditions d’existence ainsi que protéger et favoriser, sans distinction de nationalité ni de culture, toutes les institutions et entreprises religieuses, scientifiques et charitables créées et organisées à des fins tendant à instruire les indigènes.
Malheureusement, il sied d’établir que la métropole souffrait des idées reçues concernant l’aptitude des Congolais au sport. L’on prête au Général Janssens les propos « qu’il ne fallait pas courir les risques d’entraîner les soldats noirs au parachutage, car ces derniers n’ayant pas de réflexes », un haut responsable de l’administration coloniale, M. Dupont soutenait : « A l’entraînement, j’ai couru avec eux les 800 et 1500 m ; j’ai joué au football contre eux ; je leur ai enseigné le tennis, l’équitation. Et je pense bien qu’ils sont encore loin de pouvoir briguer une place en vue dans la hiérarchie des champions blancs. Et transplantés chez nous, en Belgique, les résultats des vedettes de notre colonie ne dépassaient guère une honnête moyenne. Tandis que l’Européen, par contre, transplanté en Afrique, peut, s’il le veut, réaliser les mêmes performances que dans son propre pays ».
Ses arguments que Pierre Célestin Kabala Mwana renverse d’un revers de la main. « Comme meilleur cas de figure, (…) celui de Paul Bonga Bonga. Ex-joueur du Standard de Liège, Bo Paul fut l’un des joueurs les plus spectaculaires du Standard jusqu’aux années 1961-62. En coupe d’Europe où il fut le premier Africain d’origine noire, il réalisa le match de sa vie contre les champions d’Écosse, les Hearts of Middlothians. Il fut également extraordinaire quelques mois plus tard contre le FC Barcelone et Milan, au tournoi de Cadix où le public espagnol ne jura plus que par ”El Negro”, celui qui avait pu rivaliser en virtuosité et en acrobatie avec les géants d’ Espagne et d’Italie. Transféré en 1963 au Sporting de Charleroi, Bonga Bonga mit sa classe au service de son club, qu’il réussit, à côté de son compatriote Ignace Muwawa à sortir des abîmes de la deuxième division pour le siffler, en juin 1966, au niveau de l’élite du football belge ».
Le rôle pionnier de l’Église dans le sport congolais : l’ASC et le Père Raphaël de la Kéthulle
L’ASC est le sigle de l’Association Sportive Congolaise. Elle fut créée dans l’année 1919, par le Révérend Père des Missions de Scheut, Raphaël de la Khétulle de Reyhove, ayant voué sa vie à la cause de l’éducation de la jeunesse et qui en sera récompensé le vendredi 27 juin 1966 par l’attribution de son nom au Stade Roi Baudouin Ier devenant Stade Tata Raphaël tout en rappelant qu’il a accompagné de nombreux projets de constructions d’infrastructures sportives.
Au départ, l’ASC ne s’occupe que du football, ses membres étant des anciens élèves des écoles de la capitale. En 1932, des suites de l’intensification de son activité, elle obtient de l’Union Royale Belge des Sociétés de Football Association l’affiliation. L’objectif de l’ASC consistait à offrir à la jeunesse indigène de distractions saines, impulser un complément d’éducation tant physique que moral par le biais de l’école de discipline et d’endurance grâce à la pratique bien comprise des sports. L’ASC ajoutéa dans son programme des sports la gymnastique et après vinrent d’autres disciplines à savoir : l’athlétisme, la natation, le tennis, le basket-ball, le volley-ball, le cyclisme…
Le Révérend Père Raphaël de la Kéthule, comme les autres missionnaires, ont compris que la culture des activités physiques et du sport ont des soutiens profonds dans l’histoire des peuples africains et congolais répondant ainsi à une fonction sociale du sport.
L’historien Melik Chachnazarov pense que : « Les premières données sur le développement de certains sports dans l’Afrique ancienne ont été fournies par des découvertes faites dans le désert de Libye, en Egypte, en Rhodésie du Sud, en RD Congo et en Tanzanie (…) L’arc était, comme on le sait, la principale arme de chasse et les enfants apprenaient à s’en servir dès l’âge le plus tendre. Les Pygmées de l’Afrique Centrale et d’autres tribus s’en servent encore souvent aujourd’hui. La lutte était fort populaire. Le rituel avant le début des combats et les costumes des lutteurs différents selon les régions ».
L’historien des sports congolais Pierre Célestin Kabala Mwana Mbuyi ajoute : « Le lancement du javelot était très connu des tribus peuplant le cours moyen du fleuve Congo. Quant à la lutte, elle a été très populaire et l’est encore dans les tribus Batende du Lac Maï-Ndombé, les Budja, Ngombe et Mongo de la région de l’Equateur, les Wagenia et Lokele de la province Orientale et les Bena konji et Batshioko du Kasaï et du Katanga ».
L’accord-cadre de 2016 : un partenariat renforcé entre l’Église et l’État
L’église catholique et l’État congolais entretiennent une relation particulière caractérisée par la vocation de l’église à concourir au développement de la société en accompagnant les initiatives des pouvoirs publics ou bien en dénonçant les éventuels abus de pouvoir qui mettent en péril la cohésion. sociale. Ainsi, le Secrétaire général de la CENCO, Monseigneur Donatien Nshole affirmait : « l’Eglise catholique, comme société civile, est intéressée par la gouvernance du pays et ne doit pas se taire là où le peuple souffre ».
De ce fait, un accord-cadre a été signé entre le Saint Siège et la République Démocratique du Congo le 20 mai 2016 concernant les matières d’intérêts communs et il faut ajouter à cette convention, d’autres accords dans les domaines de la santé , des finances, de la pastorale et du social sont intervenues en 2022 que le Cardinal Secrétaire d’État, Pietro PAROLIN a été « la pierre d’angle d’une nouvelle collaboration plus pacifique et fructueuse de l’Église avec les autorités civiles » .
Dans sa mission d’ordre social, l’église organise une instruction de qualité en milieu scolaire et académique d’une notoriété qui fait la convoitise de nombreux parents d’universitaires, élèves et écoliers. C’est au sein des milieux éducatifs notamment les écoles que l’on dispense l’éducation physique et sportive. La loi n° 11/023 du 24 décembre 2011 la définit comme étant une action pédagogique menée de l’enfance à l’âge adulte, ayant pour objet l’utilisation des techniques sportives comme moyen d’éducation.
Elle constitue un élément essentiel et obligatoire de l’éducation permanente dans le système global d’enseignement sans oublier que les établissements de l’enseignement supérieur et universitaire publics ainsi que les privés agréés organisent et développent la pratique des activités physiques et sportives en leur sein conformément aux principes de libre choix et du caractère non obligatoire.
D’un point de vue institutionnel, il est créé des groupements sportifs particuliers que l’on considère comme étant le creuset du sport national, de par les potentialités humaines dont ils se regorgent. Ils évoluent de manière autonome et sont affinitaires aux fédérations sportives des disciplines intéressées. Parmi les groupements sportifs particuliers, il y a celui du sport scolaire et celui du sport universitaire qui sont censés accompagner les activités physiques et sportives dans les milieux scolaires et académiques du fait de la délégation des compétences qu’ils ont reçues.
La relation entre l’Église catholique et l’État congolais, bien que parfois fluctuante, se trouve dans le domaine du sport un terrain de collaboration et de développement mutuel. Depuis la période coloniale, où des préjugés limitaient les opportunités pour les Congolais, jusqu’à aujourd’hui avec des accords-cadres renforçant cette collaboration, l’Église a toujours joué un rôle central dans l’éducation physique et sportive. Cela démontre que le sport, bien au-delà de l’aspect physique, reste un puissant levier d’intégration sociale et de développement personnel, soutenu par l’engagement des deux institutions.
Contribution de Gauthier PIKADJO, chercheur en droit des sports