À l’issue de sa première vraie tournée musicale depuis le début de la pandémie de Covid-19 et tout juste rentré à Kigali, où il réside avec sa famille, le rappeur franco-rwandais, dont les racines burundaises, rwandaises et françaises s’ entremêlent, revient pour Jeune Afrique sur la crise entre le Rwanda et la RDC, ainsi que sur la récente tournée africaine d’Antony Blinken, le secrétaire d’État américain, qui s’est notamment rendu en RDC et au Rwanda.
Jeune Afrique : Que vous inspirez la crise qui resurgi entre le Rwanda et la RDC ?
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Gaël Faye : Ces tensions me bouleversent. La situation est floue. Je perçois à nouveau de l’incompréhension, exacerbée par les réseaux sociaux. Cette amplification de la xénophobie envers les rwandophones qui vivent au Congo, je ne la ressentais plus. Elle me fait fait peur et m’attriste énormément.
Dans la région, nous nous sommes tous disséminés dans les pays alentour : au Congo, au Burundi, au Rwanda, en Ouganda… Nous nous sentons appartenir collectivement à cette région. J’ai donc la désagréable impression que nous faisons une terrible marche arrière quand je vois ces haines ressurgir pour des raisons politiques qui échappent, souvent, au citoyen lambda. Il lui est en effet très difficile de savoir ce qu’il se passe au Kivu du fait de cette difficulté à communiquer, désormais, entre Rwandais et Congolais.
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Tout a commencé quand le M23 s’est réinvité dans le conflit. La RDC a alors accusé le Rwanda d’être derrière cette offensive – ce qui n’est pas nouveau. Je pensais qu’avec l’arrivée de Félix Tshisekedi au pouvoir, nous disposions de nouveaux instruments diplomatiques pour résoudre ce genre de crise et, surtout, pour apaiser l’opinion des deux côtés de la frontière. On assiste à tout le contraire, sans pouvoir dire d’où cela vient et pourquoi.
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Comment cette dégradation se manifeste-t-elle ?
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Sur Facebook ou sur WhatsApp, chacun diffuse des vidéos de nature à attiser le feu. Cela fait ressurgir ce qu’on avait connu à la fin des années 1990 : un rejet des rwandophones vivants dans l’est de la RDC. Cela témoigne aussi du désarroi des Congolais, que je comprends tout à fait. Ils ne constatent aucune évolution significative. Non seulement la situation sécuritaire, complexe, ne s’améliore pas, mais elle s’éternise, malheureusement : les conséquences de l’après-génocide au Rwanda, la présence durable des rebelles des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) dans l ‘est du Congo, l’installation ancienne des Banyamulenge au Congo… Aussi la tentation est grande de trouver des boucs émissaires. S’y ajoute la gestion des ressources naturelles et du partage de ce gâteau dont tant de personnes viennent se servir une part depuis l’époque du roi Léopold II…
Tout cela se construit sur fond de désespoir. Sur les réseaux sociaux, le ton se durcit, le dialogue s’amenuise. Les discours se font va-t-en guerre. Or l’on ne pourra s’en sortir que par le dialogue, faute de quoi nous retomberons dans l’impasse où nous nous trouvions durant la seconde moitié des années 1990, lorsque les discours anti-Tutsi conduisaient à de véritables chasses à l’ homme. Aujourd’hui, des amis rwandais qui avaient l’habitude de se rendre en RDC ont peur de traverser la frontière. En quelques mois, l’atmosphère a changé. Et ce n’est pas rassurant.
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Lors de sa visite au Rwanda, au début d’août, Antony Blinken, le secrétaire d’État américain, a sermonné les autorités rwandaises sur plusieurs sujets…
J’ai été étonné de voir les Américains se transformer subitement en gendarmes dans la région des Grands Lacs et venir nous dire ce que Washington attendait de nous, les Rwandais. J’ai aussi ressentir un certain malaise en entendant Antony Blinken évoquer le cas de Paul Rusesabagina, condamné en appel au Rwanda à vingt cinq ans de prison pour terrorisme. Sous prétexte qu’il est devenu résident américain, le Rwanda devrait rendre des comptes à Washington ?
Cet homme a pourtant été jugé à Kigali, son procès a été retransmis intégralement sur YouTube, des témoignages et des preuves ont été produits… Pourquoi devrait-il que des pays occidentaux nous fassent éternellement la leçon ?
J’ai d’ailleurs trouvé opportun la réaction de Vincent Biruta, le ministre rwandais des Affaires étrangères. Il a rappelé que la justice de son pays était souveraine et n’avait pas de leçons à recevoir. Qui, en Europe ou aux États-Unis, parle des victimes rwandaises des attaques commises par le mouvement terroriste dont Paul Rusesabagina était l’un des dirigeants ?
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La condamnation par la justice française, en juillet dernier, de Laurent Bucyibaruta, le plus haut responsable rwandais jamais jugé en France pour les crimes liés au génocide perpétré contre les Tutsi, constitue-t-elle une victoire judiciaire ?
Préfet de Gikongoro lors du génocide de 1994, Laurent Bucyibaruta a été condamné à vingt ans de prison par la cour d’assises de Paris, le 12 juillet. Toutefois, il n’a pas été reconnu coupable de génocide mais seulement de complicité. Nous avons donc été déçus, au Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR). Par ailleurs, il est fait appel.
Le temps qu’il faut pour aboutir à un jugement est tellement long que la plupart des Rwandais poursuivis pour le génocide arrivent devant la justice française à un âge très avancé, en ayant besoin d’une aide médicale. C’est notamment le cas de Félicien Kabuga, surnommé « le financier du génocide ».
À ce rythme-là, il est peu probable que la Trentaine de personnes contre qui une plainte a été déposée sera jugée, ce qui représente une très grande frustration. En outre, il faut de longues semaines pour que les jurés français soient briefés et comprennent le contexte du Rwanda à l’époque. Il serait peut-être temps de procéder à des extraditions de la France vers le Rwanda.
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Après une longue absence liée à la crise du Covid-19, vous avez renoué avec les festivals d’été…
Cet été 2022 a été marqué par une renaissance culturelle. Il y a un an encore, les restrictions liées au Covid avaient entravé ces rendez-vous. Cette fois, les artistes ont pu venir de l’étranger, et le public aussi. J’ai constaté que le rap prenait de plus en plus de place dans les festivals. Au Paléo, en Suisse, les têtes d’affiche étaient Ninho ou Orelsan. À Saint-Nolff (Bretagne), pour le festival Fête du bruit, il y avait Booba ou Niska.
Quels livres vous avez marqué récemment ?
J’ai eu un coup de cœur pour une primo-romancière rwandaise, Dominique Celis, dont le livre, Ainsi pleurent nos hommes, sort en septembre (éd. Philippe Rey). L’histoire, qui se déroule dans le Rwanda post-génocide, évoque tout à la fois la masculinité rwandaise, la mémoire, la société rwandaise d’aujourd’hui, les politiques de la réconciliation, du pardon et du lien entre les Rwandais…
J’ai hâte aussi de lire Consolée (éd. Autrement), de Beata Umubyeyi Mairesse. J’ai cru comprendre que ce roman faisait écho à un documentaire portant sur des enfants métis de la sous-région (Rwanda, RDC, Burundi) ayant été placés dans des institutions puis déportés en Belgique.
Je suis très heureux de constater que deux écrivaines rwandaises s’illustrent lors de cette rentrée littéraire, et que la région des Grands Lacs n’y sera pas abordée sous le seul prisme de l’actualité.
Gaël Faye : Nouvel EP – Mauve Jacaranda, CD (5 titres) ou vinyle (10 titres avec instruments).
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