Une main sur la bouche et l’autre en forme de pistolet braqué sur la tempe : cette année, les joueurs de l’équipe nationale de la République démocratique du Congo avaient décidé de profiter de la CAN (Coupe d’Afrique des nations), organisé à Abidjan, pour attirer l’attention du monde sur un conflit oublié qui ensanglante l’est du pays depuis une trentaine d’années.
C’est dans ce contexte que, mardi 20 février, le Premier ministre, Jean-Michel Sama Lukonde, a remis sa démission au président de la République, Félix Tshisekedi, entraînant son gouvernement dans sa chute et un flou au sommet de l’État , préjudiciable au règlement de la crise.
Après avoir pris le contrôle de quelques villages en fin d’année dernière, le mouvement de rébellion du 23 mars, dit M23, a poussé son offensive au début du mois de février jusqu’à encercler complètement la ville de Goma, à l’est du pays, non loin de la frontière rwandaise, suscitant la panique parmi la population, la fuite de nombreux réfugiés et la crainte d’un siège matérialisée par le renchérissement du prix des produits de consommation courante. Violations, pillages, massacres, ont ainsi jeté sur les routes, selon l’ONU, 130 000 personnes en une semaine.
Kinshasa accuse directement le Rwanda voisin de soutenir activement les rebelles : une allégation corroborée par un rapport des Nations unies publié en début d’année, qui affirme que Kigali a fourni « des armes, des munitions et des uniformes » au M23 et même violé la souveraineté territoriale de l’ancien Zaïre en menant des opérations terrestres contre d’autres groupes armés fondés par d’anciens génocidaires Hutus, les FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda).
Selon le Pr Christian Gambotti, président du Cérad (Centre d’études et de recherches sur l’Afrique de demain), « l’est du pays est le coffre-fort minier de la RDC, il est évident que des puissances étrangères vont chercher ». à s’en emparer. Comme il n’est pas possible d’entrer directement en guerre, le Rwanda utilise des proxys (NDLR : des intermédiaires) pour mener une guerre par procuration en se servant de la cause de la défense de la minorité tutsie. Quant au M23, son objectif est d’asphyxier Goma, en ne refaisant pas l’erreur de l’occuper. Le but du M23 est de continuer à déstabiliser la RDC pour le compte du Rwanda en entretenant une guerre perpétuelle ».
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Une guerre de trente ans pour un sous-sol qui attise les convoitises
En 1994, c’est même Paul Kagame lui-même, actuel président du Rwanda et chef des FPR (Front patriotique rwandais), à majorité Tutsie, qui avait renversé le gouvernement dirigé par les Hutus, à la suite de quoi ceux-ci ont fui (un véritable exode de deux millions de déplacés) vers la RDC voisine pour reconstituer leurs forces et tenter de revenir sur le devant de la scène.
« Il s’agit globalement d’un conflit insoluble, car les frontières sont poreuses, les ethnies se mélangent et les vieux clivages ressurgissent »
Le M23, également composé de Tutsi congolais, a été fondé en 2012 par d’anciens militaires mutinés des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) et participe à ce chaos généralisé pour le contrôle d’une région dont le sous-sol contient 60 % des réserves mondiales de coltan, un minéral utilisé pour fabriquer des terres rares entrant dans la composition d’équipements électroniques et notamment des smartphones.
Toujours selon le Pr Christian Gambotti, « il s’agit globalement d’un conflit insoluble, car les frontières sont poreuses, les ethnies se mélangent et les vieux clivages ressurgissent. 220 milices sont présentes dans la zone et s’élèvent alternativement pour ou contre le pouvoir central, avec autant de seigneurs de guerre qui mènent leurs conflits personnels. Dans une région de collines, il est impossible pour l’armée congolaise de mener une guerre conventionnelle. Sous-commandée, sous-payée et sous-équipée, elle est victime de la défiance des chefs d’État successifs et n’est pas en mesure de reprendre le contrôle de la situation ».