Publié le 16 mars 2022 Conférence : 4 minutes.
Quel sentiment a pu étreindre Thierry Michel lorsque les lumières de la salle de spectacle du Palais des peuples de Kinshasa se sont éteintes pour laisser les premières images de son film s’afficher sur l’écran géant ? Après des années à avoir été persona non grata en République démocratique du Congo, le plus connu des documentaristes belges dans le pays y a fait son retour avec les honneurs. Là où se réunissent habituellement députés et sénateurs, son dernier film, L’Empire du silence, était projeté en avant-première fin novembre, avant sa sortie officielle, le 16 mars.
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« Revenir à Kinshasa, c’était un grand moment », lâche sobrement le réalisateur. L’homme n’est visiblement pas du genre à s’épancher. Ce soir-là, dans l’immense salle à la décoration surannée, il s’agite, virevolte. Seule sa suractivité trahit son stress : la salle est peu remplie et les expatriés sont au moins aussi nombreux que les Congolais. Une ? Thierry Michel suggère des explications : le lieu est trop officiel, la communication a été mal orchestrée, et le lendemain, jurera-t-il plus tard, la salle était au contraire « pleine à craquer » – nous n’avons pas pu vérifier.
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Morts, exécutions et cadavres par dizaines
Et qu’importe finalement, car ce n’est pas à ce public-là que L’Empire du silence semble destiné. Plus qu’un documentaire, ce film d’1h50 se veut un plaidoyer à l’attention des dirigeants mondiaux. Et le soutien d’une vaste campagne militante intitulée « Justice For Congo », initiée avec Denis Mukwege, – un médecin de Bukavu qui avait été l’objet de L’Homme qui répare les femmes : La Colère d’Hippocrate, un des précédents documentaires du réalisateur. Une campagne qui a pour mais de pousser à l’instauration de tribunaux pénaux internationaux pour juger les crimes commis ces dernières 25 années dans l’Est de la République démocratique du Congo, à la manière de ceux mis sur pied pour le Rwanda ou l’ ex-Yougoslavie.
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C’est cette histoire que le long-métrage nous raconte. Celle d’un quart de siècle de guerres largement oubliées, celle de crimes de masses, de massacres atroces. Avec des images toutes tournées durant ses innombrables voyages en RDC, le réalisateur montre la fuite de centaines de milliers de hutus rwandais depuis les camps de réfugiés, à travers les forêts congolaises, lors de l’offensive des troupes rebelles de Laurent-Désiré Kabila, en 1996. Il raconte aussi la tuerie de Tingi Tingi, en 1997, ou celle de Mbandaka, la même année.
On y voit les victimes et parfois les héros anonymes, à l’instar de cet ancien responsable de la Croix-rouge qui a refusé de se taire face aux exactions. Certains témoignages sont saisissants ; les images, souvent à la limite du supportable. Thierry Michel ne nous épargne rien de la saleté de la guerre. Il filme les morts, les exécutions, les cadavres par dizaines.
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Polémique
Ce documentaire choc de faire autant de bruit que de risque susciter de polémiques. Car dans ce plaidoyer, le réalisateur s’appuie notamment sur le très controversé rapport Mapping. Établi par des experts mandatés par le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme pour recenser les crimes commis entre 1993 et 2003 en RDC, il a servi de supports aux tenants de la thèse du « double génocide ».
Le Congo n’a jamais fait œuvre de justice et de mémoire
Ce rapport a également établi une liste des responsables des crimes de guerre, qui n’a jamais été rendus publics. Un secret que Thierry Michel veut voir levier. « Le Congo n’a jamais fait œuvre de justice et de mémoire », explique-t-il.
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Lui désigner ceux qu’il considère comme les coupables : ils sont Congolais mais aussi Rwandais et Ougandais. Leurs noms ? James Kaberebe, ancien chef d’état-major de la RDC sous Kabila avant de devenir celui du Rwanda, ou encore les généraux Gabriel Amisi Kumba et Éric Ruhorimbere – mais aucun de ces hommes n’est inclus sur ces accusations dans le documentaire.
Fin d’un cycle
Avec la fin du régime de Joseph Kabila et l’arrivée au pouvoir de Félix Tshisekedi, la Belgique veut croire que la vérité peut enfin émerger, et venir clore un quart de siècle de conflits dans l’Est de la RDC – une guerre qui est hélas toujours en cours.
Cela apporterait-il de la paix à Thierry Michel ? Peut-être est-ce aussi l’objet de ce long-métrage, qui apparaît comme le testament d’un homme qui a passé trente ans de sa vie à voyager en RDC. De Mobutu, roi du Zaïre, à ses démêlés avec le régime de Kabila qui interdira son film sur le premier procès de l’assassinat du militant des droits de l’homme Floribert Chebeya, Thierry Michel a documenté l’histoire récente de cette région d ‘Afrique décrit tant de fois, depuis Joseph Conrad, comme le « cœur des ténèbres ».
Plus de cent fois, dit-il, il s’est rendu en RDC. Il en a tiré trois documentaires. « Je suis à la fin d’un cycle. Je suis fatigué du combat, je n’en n’ai plus la force », témoigne-t-il. Récemment, cet homme d’image de 69 ans a perdu la vue d’un œil. L’autre est abimé. Il l’assure : L’Empire du silence est son dernier film.
L’affiche du film “L’Empire du silence”, le dernier film documentaire du réalisateur belge Thierry Michel. © JHR Films
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