Olga, assise, allaite la petite Elura, à côté de Nadège et de sa fille Gracieuse. Les deux bébés sont nés le 14 avril 2024 à la maternité du centre hospitalier de Luyindu, un quartier populaire de Kinshasa. SANDRINE BERTHAUD-CLAIR POUR « LE MONDE »
Dans la chambrée où l’on entre sur la pointe des pieds, c’est la même odeur de lait. Les femmes qui viennent d’accoucher se reposent avec leur nouveau-né. « C’est mon troisième enfant, chuchote Olga, qui donne la tétée à Elura, née à la mi-avril. C’est la première fois que je n’ai rien eu à payer pour accoucher. »
Les huit autres mères qui partagent l’espace acquiescent. Nous sommes dans le Centre hospitalier public de Luyindu, dans la commune de Ngaliema, l’une des vingt-quatre que compte la capitale de la République démocratique du Congo (RDC). « C’est un véritable progrès social pour les Congolaises », ajoute Annie Munungi, l’infirmière responsable de la maternité.
Ce « premier paquet » de soins primaires voulu par le gouvernement doit assurer la gratuité totale du suivi de l’accouchement, puis de la mère et de l’enfant pendant le premier mois. Une petite révolution dans un pays où la mortalité des moins de 5 ans reste parmi les plus élevés du monde, avec un taux de 79 décès pour 1 000 naissances en 2021, selon les Nations unies.
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Ce dispositif lancé en septembre 2023 dans la capitale congolaise et trois autres provinces (Sud-Kivu, Kasaï-Oriental et Kongo-Central) est présenté comme l’amorce de la future couverture santé universelle (CSU), développée sous l’impulsion des Nations unies dans le cadre des Objectifs de développement durable (ODD). Une CSU destinée, à l’horizon 2030, à « assurer l’accès pour tous à des services de santé essentiels de qualité ». À la mi-avril, le programme « gratuité de la maternité » a été élargi à sept nouvelles provinces et devrait être étendu à l’ensemble du territoire d’ici à la fin de l’année.
Tâche immense
Mais, alors que la mise en place de la CSU avait été décrétée en 2019 « priorité nationale » par le président Félix Tshisekedi, il aura fallu cinq ans aux autorités congolaises pour bâtir leur stratégie avec l’appui de l’agence de développement américaine, l’USAID et de l’Organisation mondiale de la santé. Un Conseil national de la CSU (CNCSU), directement rattaché à la présidence, avait été formé en 2021 avec pour première mission de faire un état des lieux des 519 zones de santé de ce pays grand comme quatre fois la France. « A l’époque, le constat était que, contrairement au reste du continent, l’espérance de vie des Congolais baissait, retrace le docteur Polydore Kabila, coordonnateur du CNCSU. Les causes de la mortalité sont multiples, l’architecture de notre Plan stratégique national, ambitieux, doit donc être multisectorielle afin de réaliser la CSU en 2025. »
La tâche est en effet immense pour ce pays qui n’investit en moyenne que 4 % de son produit intérieur brut dans la santé de ses 103 millions d’habitants et dépend pour 38 % de financements extérieurs, selon la Banque mondiale. Alors que le salaire moyen ne dépasse pas les 45 euros mensuels, la charge qui repose sur les ménages est crasante. Cette ambition est aussi compliquée par la situation sécuritaire dans l’est du pays, en proie aux violences des groupes armés.
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A la maternité privée Celpa de Luyindu, les affichettes en français, lingala et swahili vantant le programme de gratuité sont aussi placardées sur les murs. Mais les établissements peinent à se faire rembourser les avances de frais par l’Etat congolais. « Les structures font leur travail, et nous pouvons être fiers de n’avoir perdu aucun nouveau-né, indique Pierre Buléli, l’administrateur du centre. Mais quand nous présentons la facture au Fonds de solidarité de santé créé spécialement pour le dispositif, l’État ne s’en acquitte que du tiers ou de la moitié et avec beaucoup de retard. »
« Fiasco annoncé »
« Notre système est à l’image de cette ambulance flambant neuve que vous voyez dans la cour. L’Etat nous a offert de magnifiques véhicules avec de belles couleurs et une sirène pour porter secours à la population, ironise Alphonse Mavanga, médecin anesthésiste et directeur des soins du Centre hospitalier de Luyindu. Mais nous n’avons pas les moyens d’acheter de l’essence. »
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Le Conseil national de la CSU fait valoir de son côté qu’il « a réalisé une inspection sans complaisance » trois mois après le lancement du programme « afin de corriger ce qui doit l’être. C’est une réforme très ambitieuse que nous avons entreprise ».
Dans le centre hospitalier privé Celpa de Ngaliema, l’une des vingt-quatre communes de Kinshasa, la capitale de la République démocratique du Congo (RDC), le 16 avril 2024. SANDRINE BERTHAUD-CLAIR POUR « LE MONDE »
Le Syndicat national des médecins (Synamed) avait déjà mis en garde en 2023 contre un « fiasco annoncé » par la voix de son secrétaire général, le cardiologue John Senga, qui dénonçait l’absence de concertation, le sous-dimensionnement du budget mais aussi l’exclusion de certains actes, comme l’échographie ou la biologie, dans le financement du programme. « A Kinshasa, l’Hôpital général, ceux de Ngaliema, de Biamba Marie Mutombo, l’Hôpital mère-enfant de Barumbu sont vent debout, énumère-t-il. Nous avons fait remonter au mois de février ces problèmes, dûment argumentés, auprès du ministère de la santé et du Fonds de solidarité de santé. Si l’État ne rectifie pas le tir, nous craignons que les établissements soient obligés de rétropédaler et de revenir à l’ancien système. »
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Le CNCSU rappelle que 42 millions de dollars (plus de 38 millions d’euros) ont déjà été mobilisés pour le démarrage du programme et que le Fonds mondial a apporté 78 millions de dollars pour l’élargissement aux sept nouvelles provinces. Des arguments qui ne semblent pas plus calmes médecins et sages-femmes qui n’excluent pas un mouvement de grève afin que ce progrès social puisse faire baisser significativement la mortalité des mamans congolaises et de leurs enfants.
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