“La responsabilité d’Apple, et au-delà des grands fabricants de high-tech, quand ils utilisent des minéraux du sang, est conservée depuis longtemps une boîte noire”. Robert Amsterdam et William Bourdon n’y vont pas de main morte lorsqu’il s’agit de dénoncer l’exploitation illégale de minerais provenant de la République démocratique du Congo (RDC). Les deux avocats mandatés par Kinshasa ont spécifié une mise en demeure aux deux filiales d’Apple en France ainsi qu’à la maison mère de l’entreprise, en Californie.
Au cœur de cette plainte donc, l’exploitation de “minerais litigieux” qui “proviendraient en grande partie de mines congolaises au sein comprenant de nombreux droits humains sont violés”, détaillent les avocats. Plus précisément, ce sont les minéraux “3T” qui sont visés, soit l’étain, le tungstène et le tantale. Ces 3 matériaux seraient en fait extraits des sols congolais puis “importés par contrebande au Rwanda” où ils seraient “blanchis” en étant intégrés dans la chaîne d’approvisionnement mondiale, détaille la plainte.
La RDC, un « scandale géologique »
Les sous-sols de la RDC sont en effet riches en minéraux indispensables à la production d’appareils électroniques. A tels points que Jules Cornet, géologue belge, affirmait en 1892 que le pays était un “scandale géologique”. On y trouve notamment une bonne partie des 3T visés par la plainte, mais aussi du cobalt, dont 63 % du volume mondial exploité en 2022 venait justement du Congo. La richesse de sols a, depuis longtemps, attiré l’attention des bandes armées qui exploitent encore aujourd’hui, des fusils à la main, les mines présentent dans l’Est du pays. Cette manière économique a également contribué à l’explosion de la deuxième guerre du Congo en 1997 qui a fait au moins 4,5 millions de morts.
En réaction, des régulations ont été adoptées en Europe et outre-Atlantique pour limiter l’approvisionnement de ces “minérais de sang”, dont la loi Dodd-Frank aux États-Unis qui encadre cette pratique. Mais d’après certains observateurs, cela n’a fait que déplacer le problème. David Maenda Kithoko, président de l’association Génération Lumières, qui œuvre pour le respect de l’environnement et des droits humains dans la région des Grands Lacs en Afrique, a expliqué en 2023 que ces mesures étaient “hypocrites”, car “les minéraux quittent la RDC, sont blanchis en Chine et sont propagés partout dans le monde à travers des produits finis.”. Résultat, “on ne voit plus les minéraux, les traces de ces guerres”, explique David Maenda Kithoko.
Des problématiques environnementales
La guerre du Congo et les nombreux conflits miniers qui émaillent l’histoire de la RDC ont aussi des graves conséquences environnementales. La forêt tropicale congolaise, surnommée “deuxième poumon de la planète” après l’Amazonie, perd chaque année “plus de 500 000 hectares” sous la pression de “l’extractivisme”, détaille David Maenda Kithoko.
En 2022, L’ONG Global Witness estime que l’Initiative de la chaîne d’approvisionnement de l’étain (ITSCI), accord international censée fournir une chaîne de traçabilité fiable pour les minéraux 3T exploités par les grandes entreprises, était rongée par des défauts en tout genre. Un acteur clé de l’accord au Rwanda expliquait même que “seuls 10 % des minerais exportés par le pays avaient effectivement été extraits sur son territoire, les 90 % restants ayant été introduits illégalement à partir de la RDC”. Déjà à l’époque, l’association expliquait que ces minéraux “pouvaient se retrouver dans des appareils vendus par des marques internationales comme Apple, Intel, Samsung, Nokia, Motorola et Tesla” et que, malgré des alertes, “les mesures d’ les mises en œuvre en œuvre semblent limitées”.
Les mesures d’Apple jugées “notoirement insuffisantes”
C’est précisément cette transhumance des minerais de conflit qui est visée par la plainte de Kinshasa. Les avocats estiment que les précautions prises par Apple pour se fournir en minerai de manière responsable sont « notoirement insuffisantes ». Selon la plainte « La société Apple semble s’appuyer principalement sur la vigilance de ses fournisseurs et leur engagement à respecter le code de conduite d’Apple (…) Or, tant ces fournisseurs que les entreprises d’audit apparaissent s’appuyer sur la certification Itsci dont les dysfonctionnements graves et de nombreux ont été démontrés”.
La plainte déposée par la République démocratique du Congo contraint Apple à répondre « sous trois semaines » aux questions relatives à l’approvisionnement en minéraux 3T inscrites dans la mise en demeure. Kinshasa ne s’interdit d’ailleurs pas de mener une action juridique en bonne et due forme contre Apple si les réponses apportées par l’entreprise ne sont pas suffisantes. “Toutes les options judiciaires sont maintenant sur la table”, ont précisé les avocats responsables de l’affaire.
De son côté, Apple s’est défendue en citant les éléments de son rapport 2023 sur les minéraux de conflit. Ce dernier indique n’avoir “aucune base raisonnable pour conclure que l’un de nos fondeurs ou raffineurs (…) a trouvé directement ou exclusivement financé ou géré à des groupes armés en RDC ou dans un pays limitrophe.” Pas sûr que cela suffise pour rassurer Kinshasa.