A Nairobi jeudi, le patron de JP Morgan Chase, Jamie Dimon, a marqué une nouvelle étape dans sa tournée africaine. Il a rencontré le président kenyan William Ruto et les autorités financières du pays qui lui ont récemment accordé une licence pour l’ouverture d’une filiale locale. C’était l’occasion pour l’homme d’affaires de présenter personnellement les ambitions du premier groupe bancaire mondial sur ce marché est-africain considéré comme le berceau africain de l’innovation technologique. « Le Kenya présente un attrait considérable en tant qu’économie diversifiée et dynamique et a le potentiel de devenir le centre financier de JP Morgan en Afrique de l’Est », dit-il à sa sortie de la State House.
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« Nous n’avons jamais quitté un pays »
Jamie Dimon – dont les équipes se déploient déjà en Afrique du Sud, au Nigeria et en Egypte – a récemment annoncé l’implantation de JP Morgan au Kenya et en Côte d’Ivoire, ce qu’il agit à travers cette tournée africaine entamée la semaine dernière au Nigeria, un marché où la banque américaine est présente depuis 54 ans. Ce pas marque la concrétisation d’un projet annoncé en janvier 2018 à Davos, en marge du World Economic Forum (WEF) : « Vous nous verrons nous implanter dans certains pays où nous ne sommes pas. En Afrique, vous entendez parler de ce genre de choses ». Une avancée qui arrive six ans plus tard, mais que le patron américain annonce sûre et éventuellement pérenne. « Depuis que je suis chez JP Morgan, nous n’avons jamais quitté un pays. Une fois que nous y sommes, nous devenons meilleurs et plus intelligents, puis nous essayons d’améliorer ce que nous y faisons », a déclaré Jamie Dimon lors d’une intervention à Abuja devant le secteur privé. D’après son patron, JP Morgan à l’intention d’« ajouter un ou deux pays (à sa présence) en Afrique, tous les deux ans environ ».
Les banques françaises, pressées par les contraintes réglementaires
Avec un tel agenda, le groupe bancaire américain s’inscrit à contre-courant d’autres banques internationales, notamment françaises, qui quittent plusieurs marchés récemment. « L’expansion de JP Morgan est une bonne nouvelle pour les marchés africains », estime Loic Mackosso, banquier d’affaires congolais et Fondateur d’Ariès Investissements. « Lorsqu’une telle banque vient dans un pays, c’est parce qu’elle pense y avoir des clients domestiques et internationaux », ajoute-il, soulignant que le retrait des banques françaises n’est pas lié au fait que les marchés africains ne serait pas intéressant. « Les banques françaises se retirent en raison des contraintes liées à l’activité bancaire avec les normes de Bâle III qui font que pour certains risques, les banques doivent obligatoirement provisionner. Lorsque les états-majors de certaines banques constatent ce que l’Afrique représente dans leur portefeuille et le coût que cela implique d’être sur le continent, elles prennent naturellement la décision de se retirer », explique l’expert. C’est d’ailleurs ce qu’expliquait le top management de la Société Générale, justifiant ses retraits successifs par sa volonté de renforcer sa rentabilité et son efficacité.
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La géostratégie en toile de fond
Au Kenya et en Côte d’Ivoire, JP Morgan offrira des services de banque commerciale et d’investissement, des services de trésorerie et certains prêts, laissant au gré d’éventuelles opportunités futures la gestion d’actifs et de patrimoine (activités déployées au Nigeria et en Afrique du Sud), sachant que le Kenya est l’un des pays africains ayant la population d’ultra-riches à la croissance la plus rapide, tandis que la Côte d’Ivoire démontre une forte attractivité pour le business mondial. Mais au-delà de l’aspect capitalistique, l’expansion africaine du leader américain de la banque adresse également un enjeu géostratégique, selon les experts. « Je pense que cela s’inscrit aussi dans la volonté des Etats-Unis de s’impliquer beaucoup plus en Afrique pour contrer l’influence chinoise », estime Loïc Mackosso.
Sous Donald Trump, les États-Unis annoncent les couleurs d’une stratégie offensive à portée par son agence de financement du développement (DFC). C’est d’ailleurs dans ce sillage que JP Morgan avait annoncé des projets à venir sur le continent, qui commençait déjà à être au cœur des enjeux de demain en raison de sa puissance minière essentielle dans un contexte mondial de transition énergétique. D’autres banques lui avaient emboité le pas. Citigroup prévoyait son renforcement à venir en Afrique de l’Ouest et du Centre, tandis que Goldman Sachs s’était lancé dans la recherche d’une licence avec un focus sur les services bancaires de base. « JP Morgan n’est pas une petite banque. Je crois que les acteurs s’observent et d’autres banques pourraient suivre », estime l’expert, souligné qu’indépendamment de leur discours à leur arrivée, un éventuel retrait de ces banques à l’avenir n’est pas à exclure, tout comme l’ont fait d’autres entités par le passé.