A Kinshasa, devant l’hôpital pédiatrique de Kalembe Lembe, en 2007. DON EMMERT / AFP
« Manuella est tellement intelligente qu’on a eu peur qu’elle comprenne avant l’annonce. Elle a deux ans d’avance à l’école. Elle ira loin, c’est sûr ! » Manuella Mwanzana a 13 ans et elle est séropositive. C’est Caroline Nseka, l’une des psychoéducatrices du centre de santé de Médecins sans frontières (MSF) de l’hôpital de Kabinda, à Kinshasa, qui l’a accompagnée, avec sa mère, dans la longue préparation de la révélation de c’est une maladie.
Celle que tout le monde appelle ici « Maman Caroline » est fière de la jeune fille qui prend son traitement sans faiblir depuis quatre ans, matin et soir. « Je n’y pense même plus, c’est devenu une routine », précise la jeune fille dans un sourire. Sa charge virale est descendue à 39 copies par millilitre de sang (c/ml), ce qui signifie qu’elle est devenue indétectable et que le virus ne peut plus être transmis.
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Dépistée à 9 ans, Manuella a été contaminée par transfusion sanguine vers l’âge de 6 ans, explique Joëlle Musuamba, sa mère, mariée à un infirmier : « Nous vivons à Lubumbashi et nous ne comprenions pas pourquoi Manuella avait régulièrement des abcès aux oreilles et souffrait de fatigue chronique. »
Plus de 60 000 enfants de 0 à 14 ans vivent avec le VIH en République démocratique du Congo (RDC), selon les chiffres de l’Onusida de 2022. Cela représente plus de 12 % des 500 000 personnes dépistées positives sur le territoire. En moyenne, 16 000 enfants sont contaminés chaque année par transmission de la mère à l’enfant, accident du quotidien ou suite à des violences sexuelles.
« Ce qui les sauve, c’est justement leur jeunesse »
A titre de comparaison, seulement 1 500 enfants de la même tranche d’âge sont séropositifs en France. Quant aux femmes, leur taux de prévalence (pourcentage de personnes malades dans une population) est deux fois plus élevé (0,8 %) que celui des hommes.
Un effort particulier est donc fait par l’Etat congolais, notamment grâce au dépistage, systématique et gratuit, des femmes enceintes, allaitantes et des nourrissons. Mais force est de constater qu’encore trop de bébés passent à travers les mailles du filet de la prévention et sont « rattrapés » de justesse au cours de leur enfance.
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« Ce qui les sauve, c’est justement leur jeunesse, explique Joëlle Mbuaya, médecin spécialisée dans la prise en charge des patients en stade 3 et 4 au centre MSF. On repère plus rapidement chez un enfant que chez un adulte les baisses de régime. Perdre un enfant est heureusement rare. » Entre 3 000 et 5 800 enfants séropositifs sont néanmoins morts en RDC en 2022 d’après les Nations unies.
Ces manquements sont « dus à des ruptures d’approvisionnement de tests spécifiques, explique la docteure Gisèle Mucunya, coordinatrice médicale au centre MSF. Car les nourrissons doivent être testés plusieurs fois avant que leur statut puisse être établi avec certitude, car ils sont porteurs des anticorps de leur mère pendant les premiers mois de leur vie, ce qui peut fausser, dans un sens comme dans l’autre, le résultat. Si la mère se décourage ou n’a pas été assez bien informée, son enfant peut échapper à notre vigilance ».
L’annonce toujours difficile de la maladie
Pierrette Nanga, 15 ans, fait partie de ces enfants dépistés tardivement. C’est à la mort de sa mère, décédée d’une crise d’épilepsie lorsqu’elle avait 2 ans et demi, que la fillette est brutalement tombée malade. Sa grand-mère, Espérance, une veuve de 55 ans qui l’élève depuis, a tout de suite réagir et l’a fait dépister. Aussitôt mise sous traitement antirétroviral pédiatrique, Pierrette, aujourd’hui adolescente, a vu en quelques années sa charge virale baisser sous la barre des 40 (c/ml).
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Manuella et Pierrette ont toutes deux retenues d’un programme d’annonce progressive de leur maladie. « C’est entre les 6 ans et les 8 ans de l’enfant que l’on peut commencer à parler d’une pathologie et d’un traitement qui vont s’inscrire dans le temps long, décrypte Eric Kanumay, psychologue clinicien au centre MSF. A cet âge-là, on ne parle pas de VIH. On a tout un matériel pédagogique, une boîte à images, pour amener l’enfant à comprendre le système des anticorps, le bénéfice des médicaments sur sa vie de tous les jours. Ce n’est que vers 12 ans que l’on commence à parler de maladie sexuellement transmissible. Après, avec l’arrivée de la puberté et de l’adolescence, c’est trop tard. Cela posera plus de problèmes que cela peut en résoudre. »
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Les parents sont associés à cette prise de conscience et à la préparation d’une annonce toujours difficile tant le mot sida est encore tabou. Il faut aussi les convaincre de se faire eux-mêmes dépister. Pour éviter que les familles n’explosent et que les mères soient rejetées par leur compagnon et/ou leur communauté, les couples sont également accompagnés par une équipe de psychologues et de médecins.
« Sortir du déni et de la peur »
« Aujourd’hui, on peut sortir du déni et de la peur en raison aux adultes comme aux enfants que, grâce au traitement, ils vont avoir une vie normale, pouvoir faire des projets et même des enfants », raconte Caroline Nseka.
« Je n’ai pas été trop choquée quand on m’a fait l’annonce « totale ». J’avais 12 ans, témoigne Pierrette, aujourd’hui lycéenne et des rêves de « modiste » plein la tête. Pour moi, c’était une maladie comme une autre. Le fait de prendre un traitement tous les jours par contre, alors que je me sentais en forme, ça, je ne le comprenais pas. » « C’est souvent le signe qu’il faut détester la dernière phase de l’annonce, explique la psychoéducatrice. Sinon, le préadolescent va se lasser et décrocher. »
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Manuella, elle, a été choquée mais l’annonce partielle de sa maladie à 10 ans l’a finalement soulagée : « Cela a donné du sens au fait que je me sentais souvent affaiblie, fiévreuse. Je ne comprends pas pourquoi j’avais ces abcès aux oreilles qu’aucun autre enfant autour de moi n’avait jamais. »
L’adolescente a intégré cette année l’Institut supérieur des techniques médicales de Kinshasa. « Après je ferai médecine à la fac, dit-elle, déterminée. Mon rêve est de devenir ministre de la santé. Pour cela, il faut que je devienne docteure. » Manuella saisit un stylo et une feuille de papier qu’elle tend d’un œil rieur : « Vous voyez, j’ai déjà ma signature ! »
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