Carlos Lopés
Professeur à la Nelson Mandela School of Public Governance de l’Université du Cap et à Sciences Po Paris. Il préside le Conseil de la Fondation Africaine du Climat.
Publié le 29 octobre 2024 Conférence : 6 minutes.
À l’approche de la COP29, l’Afrique se retrouve face à un dilemme qui ne se limite pas à une question de financement climatique. Ce dilemme, reflet des inégalités climatiques globales, met en lumière le manque de choix financiers auquel sont confrontés les pays africains. Les contraintes pesant sur les options politiques du continent n’ont jamais été aussi visibles, car les modèles de financement traditionnels deviennent obsolètes, pris dans l’entrelacs des impératifs climatiques et de développement.
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Il est désormais évident que la distinction entre financement climatique et financement du développement n’a plus lieu d’être. Cette séparation artificielle, profondément ancrée dans les pratiques des institutions financières internationales (Ifis) et des agences de développement, masque la nature réelle des défis auxquels les pays africains sont confrontés. La réalité est simple : il est aujourd’hui impossible de planifier le développement sans intégrer les considérations climatiques, tout comme il est impensable d’envisager des stratégies climatiques sans prendre en compte les besoins fondamentaux du développement, tels que les infrastructures, la réduction de la pauvreté et la création d’emplois. Pourtant, l’héritage des financements distincts perpétue une approche morcelée qui échoue à allouer les ressources selon les besoins réels. Ce décalage a des conséquences graves pour l’Afrique, où l’accès limité aux liquidités et aux marchés de capitaux a toujours restreint la capacité des pays à investir de manière autonome dans la résilience climatique et le développement durable.
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Le chaînon manquant du développement durable
Le véritable obstacle pour l’Afrique n’est pas un manque d’ambition, d’engagement ou même de capacité de planification, mais bien un accès insuffisant aux liquidités. Contrairement à d’autres régions plus prospères, les pays africains n’ont jamais connu de marchés de capitaux robustes capables de soutenir des investissements à grande échelle et à long terme. Ils ont plutôt compté sur l’endettement extérieur à des taux prohibitifs, le financement concessionnel et l’aide au développement. Dans le contexte du financement climatique, cette dépendance n’a fait qu’approfondir les inégalités. L’Afrique, qui est responsable de moins de 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, supporte une charge disproportionnée des impacts climatiques, tout en peinant à accéder aux liquidités nécessaires pour financer à la fois ses objectifs de développement et ses ambitions climatiques.
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Les institutions financières internationales, comme le FMI et la Banque mondiale, ont proposé des réformes, mais celles-ci sont bien trop timorées et n’abordent pas les racines du problème. Le discours sur le « levier » des financements privés et les financements hybrides – où les fonds publics servent à attirer les investissements privés – est présenté comme une solution miracle pour les pays en développement. Or, ce modèle est fondamentalement vicié. Il donne l’illusion que des fonds adéquats sont disponibles alors qu’en réalité, il se contente de redistribuer les ressources existantes. Ce faisant, il pousse les gouvernements africains à absorber les risques d’investissements sans réellement générer de nouvelles liquidités. Ces méthodes de financement obligent les pays africains à choisir des projets qui séduisent les investisseurs privés, au détriment de ceux véritablement nécessaires pour une transformation structurelle.
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Le mirage du marché du carbone
Le marché du carbone est présenté comme solution pour les pays africains. En théorie, il s’agit de permettre aux nations africaines de vendre des crédits de carbone, générés par la préservation des forêts ou la réduction des émissions, aux pays ou entreprises développées qui souhaitent disposer de leurs propres émissions. Mais la réalité est bien plus complexe.
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Ces marchés restent fragmentés, manquent de transparence et sont dominés par des intérêts qui ne servent pas le développement de l’Afrique. Les règles, les processus de certification et les normes de ces marchés sont dictés par les pays développés, laissant peu de contrôle aux nations africaines sur la valeur de leurs crédits. En outre, il existe une perversion fondamentale : le poids de la réduction des émissions est transféré aux pays qui, historiquement, ont le plus souffert du changement climatique et qui y ont le moins contribué. Cette structure ne fait qu’exacerber les inégalités et limiter le potentiel des marchés du carbone comme véritable outil de développement durable pour l’Afrique.
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L’Afrique est également incitée à rehausser ses ambitions dans le cadre de ses Contributions déterminées au niveau national (NDCs) au titre de l’Accord de Paris, avec la promesse implicite que ces efforts pourront être monétisés par la vente de crédits carbone. Pourtant, cela reste un mirage. La nature fragmentée des marchés du carbone et le contrôle exercé par des intermédiaires opaques signifie que les pays africains risquent de multiplier leurs engagements sans en tirer de réels bénéfices financiers. Ainsi, ces marchés pourraient devenir un énième moyen d’exploiter les ressources africaines sans apporter de gains substantiels aux populations.
Renforcement de la dépendance
Les nouveaux mécanismes fiscaux et les exigences réglementaires introduites par les pays développés, tels que le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’Union européenne (CBAM), et des conditions de protection forestière plus strictes, constituant des obstacles supplémentaires au développement du continent . Ces mesures imposent des normes plus élevées aux producteurs, les forçant à supporter les coûts de conformité, alors que les consommateurs des pays développés sont exemptés de l’obligation de subventionner ces transformations. C’est un cas classique de « responsabilité détournée » : les producteurs africains, déjà confrontés aux prix bas pour leurs produits, doivent désormais assumer le coût de l’adaptation à des régulations qu’ils n’ont pas créées.
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Le résultat est un scénario où les pays africains se retrouvent piégés. Les contraintes d’adoption des normes et des pratiques qui servent les intérêts des pays développés, sans bénéficier du soutien financier ou de l’accès au marché nécessaire, elles sont enfermés dans des asymétries économiques encore plus marquées. Cette situation, loin d’être un moyen de lutter contre le changement climatique, renforce la dépendance et compromet les objectifs de développement.
Autre exemple criant de la limitation des choix imposés à l’Afrique : le discours sur l’énergie. Alors que la sécurité énergétique est présentée comme un choix pragmatique pour les nations riches, l’accès à l’énergie est relégué au rang de défi de long terme pour les pays africains, qui devraient s’en accommoder patiemment. La réalité est que les vastes réserves de gaz naturel de l’Afrique pourraient jouer un rôle crucial dans le financement de la transition vers les énergies propres. Pourtant, on décourage les pays africains d’exploiter ces ressources sous prétexte que cela augmenterait leur empreinte carbone, alors même que les pays développés continuaient d’exploiter les leurs sans entrave. Ce double standard illustre bien les injustices qui caractérisent l’architecture mondiale du financement climatique.
Vers une architecture financière juste et inclusive
La solution réside dans la création d’une architecture financière qui reconnaît l’interdépendance du développement et du climat, et qui donne aux pays africains l’accès aux liquidités nécessaires pour conduire leur propre transformation. Il s’agit de dépasser les faux clivages pour embrasser une approche holistique qui s’attaque aux causes profondes du manque de choix politiques en Afrique.
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La COP29 offre une opportunité de remettre en question le statu quo et de plaider pour un système plus équitable, qui permette aux nations africaines de définir leurs propres trajectoires de développement. Il est temps de reconnaître que la lutte de l’Afrique n’est pas une question de manque d’ambition, c’est une question de manque d’options. Mettre fin à cette double injustice est le seul moyen d’ouvrir la voie à un avenir véritablement durable et inclusif pour le continent et le monde.
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