Un vibrant hommage à l’immense Pierre Kelekele. Né Pierre Kele-Kele Likuta en 1942 à Kisangani, dans ce qui était alors la Province Orientale (actuellement la Tshopo), ce pionnier s’est éteint le 8 avril 2021 à Kisangani, à l’âge de 79 ans, dans le dénuement le plus total. Paralysé depuis 1994 (soit durant 27 longues années), il se déplaçait en fauteuil roulant.
À ce jour, il demeure le premier et unique Congolais à avoir conquis un titre de champion du monde dans le domaine du divertissement sportif qu’est le catch professionnel. Il fut également le premier lutteur congolais à décrocher une médaille en Coupe d’Afrique.
Fidèle à ses racines, Pierre Kelekele n’a jamais envisagé de changer de nationalité. Pour lui, être Zaïrois (Congolais) était une fierté viscérale, une affaire de cœur.
1. L’ÈRE DE LA LUTTE : LES PREMIÈRES GLORIES
Pierre Kelekele a fait ses premiers pas dans la lutte entre 1959 et 1960, évoluant dans la catégorie des mi-lourds et se distinguant en lutte libre et gréco-romaine.
L’année 1962 marque une étape cruciale : à seulement 20 ans, il remporte le titre de champion du Congo Kinshasa en un temps record de moins de trois minutes. En reconnaissance de cet exploit, le gouvernement congolais lui confie le rôle d’entraîneur de l’équipe nationale.
De 1962 à 1970, il enchaîne les titres de champion du Congo et accumule de nombreux trophées.
En 1971, à l’âge de 29 ans, il se hisse au rang de vice-champion d’Afrique en lutte gréco-romaine lors des championnats organisés en Égypte. Ses performances attirent l’attention de la fédération allemande de lutte, qui lui offre une bourse de quatre ans pour perfectionner son art en Allemagne.
Cependant, une ombre plane sur cette période : certains doutent de son titre de vice-champion d’Afrique en 1971, arguant de l’absence de preuves concrètes.
PALMARÈS (LUTTE)
* Championnat d’Afrique de Lutte : Médaille d’argent en 1971
* Multiples fois champion du Zaïre (RDC)
* Premier Congolais champion d’Afrique de lutte gréco-romaine
2. L’ASCENSION DANS LE CATCH : CHAMPION DU MONDE
Son arrivée en Allemagne en 1971 marque un tournant. Pierre Kelekele embrasse une carrière de catcheur en parallèle de la lutte. La même année, lors d’un tournoi mémorable au stade du 24 novembre en Allemagne, il affronte les Américains Michael Nador et Jimmy Dula, démontrant sa technique redoutable, le « libanda ». L’apogée survient en 1972 à Berlin : il triomphe d’El Gréco et devient champion du monde. Ses premières années dans le catch sont synonymes d’invincibilité, le propulsant sur la scène internationale comme un expert des prises de soumission et un catcheur d’exception. Cette victoire historique fait de lui le premier Congolais champion du monde de catch.
Dès lors, il évolue principalement en Europe.
En 1973, sa renommée grandissante le conduit à participer à des galas de catch prestigieux en Allemagne, aux côtés de légendes telles que Hermann Iffland, Charles Verhulst, El Gréco, Oscar Lago, Patrick Roach, John Kowalski et René Lasartesse. Sur une série de sept matchs en octobre, il remporte son premier combat face à Chief Thunderbird le 13 octobre 1973. Deux jours plus tard, en équipe avec Johnny Kincad, ils battent John Kowalski et Nino Sandrini. Il subit ensuite une série de cinq défaites, dont une face à El Gréco.
L’année 1974 le voit organiser et participer à une mini-coupe du monde au Zaïre, accueillant des figures notables du catch comme le Français Patonix et le Gallois Leronix.
Une réalité amère vient ternir cette période : la fédération allemande de lutte et celle de catch ne lui versent que 87 dollars au total, une somme dérisoire qui équivaudrait aujourd’hui à environ 182 000 francs congolais. Alors qu’il croyait transférer cet argent à la fédération zaïroise, il s’avère que c’était une supercherie. Contrairement aux sportifs collectifs, les athlètes individuels reçoivent leurs gains directement. Pierre Kelekele fut victime d’une escroquerie, plusieurs milliers de dollars lui étant injustement soustraits par les organisateurs allemands, exploitant son innocence et la discrimination raciale de l’époque.
PALMARÈS (CATCH)
* Champion du monde en 1972
* Premier et unique Congolais champion du monde de catch
3. FIN DE CARRIÈRE ET TRISTE DÉCLIN
De retour au pays, une fracture à la jambe met un terme à sa carrière de lutteur. Il est alors affecté à Kisangani, sa ville natale, en tant que fonctionnaire à la division provinciale des sports. Il devient également moniteur sportif dans divers centres de formation de la gendarmerie et de l’armée.
En 1994, une violente crise d’hypertension le frappe, entraînant une paralysie de la moitié de son corps. Pour tenter de lui venir en aide, le catcheur Edingwe organise deux festivals, mais les fonds récoltés s’avèrent insuffisants. En 1998, le maire de Kisangani, Augustin Osumaka Lofanga, lui accorde une prime mensuelle, qui ne sera versée qu’une seule année.
Après une longue maladie de plus de dix ans, il subit une opération réussie le 27 avril 2020. Il décède le jeudi 8 avril 2021 à la Clinique universitaire de Kisangani des suites de sa maladie, après 27 années de souffrance dans l’indifférence générale, la pauvreté et la misère, ironiquement méconnu par une grande partie de ses compatriotes.
Histoire du Sports congolais