Cette semaine, l’ONG Tournons la page célèbre ses dix ans de lutte pour la démocratie et les droits de l’Homme en Afrique. Ses militants sont lucides : le bilan est sombre, au vu des coups d’État militaires de ces quatre dernières années en Afrique de l’Ouest. Alors dix ans pour rien ? L’Ivoirien Alexandre Didier Amani n’est pas d’accord. Depuis un an, il préside l’ONG et de passage à Paris, il explique au micro de Christophe Boisbouvier que le combat de Tournons la page est toujours nécessaire. Non seulement au Sahel et en Guinée, mais aussi au Togo, en Côte d’Ivoire et au Tchad.
RFI : Alexandre Didier Amani, voilà 10 ans que vous vous battez pour l’alternance démocratique et les droits de l’homme en Afrique, mais au vu des coups d’État militaires au Sahel, en Guinée, est ce que vous n’êtes pas saisi tout de même par un sentiment de désespoir ?
Alexandre Didier Amani : Le désespoir, c’est un peu trop dire. Il y a un doute, mais c’est normal parce que la lutte pour la démocratie est un processus. Il y a naturellement des moments de photos avec le Sénégal qui est une lueur d’espoir, mais aussi des moments de doute, lorsque nous avons les crises, les coups d’État militaires. Et surtout les coups d’État constitutionnels. On n’en parle pas beaucoup, mais ils participent à bâillonner la démocratie.
Et vous pensez à quel pays ?
Naturellement, le Togo et la Côte d’Ivoire.
La Côte d’Ivoire qui est votre propre pays. Des 3 pays de l’AES, l’Alliance des États du Sahel, quel est le pays qui vous paraît le plus dangereux aujourd’hui, pour les défenseurs des droits de l’homme et de la démocratie ?
On pourrait dire le Burkina Faso avec les enlèvements de militants pro-démocratie. C’est l’occasion d’adresser un message de soutien à Maître Kam qui a été enlevé.
Maître Guy Hervé Kam.
Oui, à Maître Guy Hervé Kam et à tous nos camarades militants du Balai citoyen qui aujourd’hui ont des difficultés à s’exprimer.
Parce que le droit est encore moins respecté dans ce pays ?
Efficacité
Qu’au Niger et qu’au Mali ?
Oui, on peut le dire, parce que les enlèvements sont légion avec les forces parallèles et les VDP qui, eux aussi, contribuent à cela.
En Guinée-Conakry, l’une des deux grandes figures de la société civile qui a disparu depuis 3 mois, Mamadou Billo Bah, n’est autre que le coordinateur de votre organisation « Tournons La Page » dans le pays. Qu’est-ce que vous faites pour lui depuis 3 mois ?
C’est pour nous la note noire de ces 10 ans. On ne peut pas parler d’un mouvement pro-démocratique et constater que son coordinateur pour la Guinée a été enlevé. Ça fait 100 jours qu’on n’a pas de nouvelles. Nous avons essayé de mobiliser aussi bien les bailleurs, les partenaires et même certaines chancelleries, et bien sûr les Nations-Unies pour avoir un positionnement clair, afin qu’on libère nos camarades. Aujourd’hui, on n’a pas de nouvelles. Un enlèvement dans un État actuellement au 21e siècle, ça nous fait peur. Et plus les jours passent, plus nous devenons de plus en plus inquiets par rapport à la situation de nos camarades.
Dans un an, Alexandre Didier Amani, vos compatriotes ivoiriens vont élire leur président. Au regard de la démocratie et des droits de l’homme, est-ce-que vous êtes optimiste ou inquiet pour l’année prochaine ?
Nous demeurons inquiets en Côte d’Ivoire. Parce que ces temps-ci, il ya eu une loi, l’ordonnance sur les organisations de la société civile, qui nous montre un bâillonnement. Il y a aussi l’appel de l’opposition au dialogue, pour que l’on puisse aller au consensus au niveau de la Commission électorale indépendante et aussi du code électoral. Pour le moment, il n’y a pas un retour favorable des autorités en place et, si ça continue ainsi, ça risque d’aller à l’embrasement.
Et par rapport au Togo qui vient d’instaurer un régime parlementaire, quel est votre point de vue ?
L’inquiétude au Togo est de plus en plus forte. Parce qu’il y a un coup d’État constitutionnel qui a été opéré, mais surtout la fermeture de l’espace civique. Nos militants sont menacés, pourchassés, bâillonnés. On a constaté que Guy Marius Sagna, député CEDEAO, a été bastonné en pleine conférence de presse.
À Lomé ?
Oui à Lomé. Ça montre combien de fois on atteint un pic, un pic de violence, mais aussi un pic de bâillonnement de toutes voix discordantes, de la part des pouvoirs en place. Surtout le pouvoir togolais.
Alors, l’un des pays où vous êtes le plus actif, c’est le Tchad ? Quel est votre regard sur la situation d’aujourd’hui ?
La situation demeure tendue. Parce que, aux dernières élections, « Tournons La Page » a déployé 1000 observateurs pour observer l’élection. Mais les retours n’ont pas été aussi favorables. Au Tchad, la répression des militants continue
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