Les joueurs de l’équipe de RDC, lors de la demi-finale de la CAN à Abidjan (Côte d’Ivoire), ont adopté une posture symbolique pour attirer l’attention sur la crise dans leur pays. FRANCK FIFE / AFP
Une main devant la bouche, l’autre contre la tempe : tous les joueurs de l’équipe de football de République démocratique du Congo (RDC) ont pris la même posture au moment de leur hymne national, mercredi 7 février, à Abidjan (Côte d’Ivoire), lors de la demi-finale de Coupe d’Afrique des nations. Un geste symbolique pour dénoncer les atrocités que vivent des millions de Congolais depuis plus de vingt-cinq ans.
Malgré la défaite sportive, le capitaine de l’équipe congolaise, Chancel Mbemba, s’est félicité d’avoir « passé (le) message sur le terrain. L’Union européenne va le voir. » D’autres joueurs de l’équipe des Léopards s’étaient déjà exprimés sur le sujet de la compétition, comme l’attaquant Cédric Bakambu sur X : « Tout le monde voit les massacres à l’est du Congo. Mais tout le monde se tait. Mettez la même énergie que vous mettez pour parler de la CAN pour mettre en avant ce qu’il se passe chez nous. »
Quelles sont les origines de cette crise ?
Pour comprendre la crise qui traverse la RDC, il faut revenir au génocide des Tutsi au Rwanda. D’avril à juin 1994, environ 800 000 personnes ont été tuées en seulement trois mois. Le Front patriotique rwandais, créé par des Tutsi en exil, a alors mené une offensive et est parvenu à prendre le pouvoir contre le gouvernement génocidaire et les forces armées rwandaises. Près de deux millions de personnes, essentiellement hutu, dont des miliciens auteurs du génocide, ont fui en direction du pays voisin, le Zaïre, actuelle République démocratique du Congo, alors dirigée par le dictateur Mobutu Sese Seko.
Plusieurs milliers de déplacés ont été assassinés en chemin ou dans leurs camps par des groupes armés comme l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL) désireuse de prendre le pouvoir à Mobutu Sese Seko, qui gouvernait sans partage depuis plus de trente ans. Choisi fait en 1997, avec la prise de la capitale Kinshasa par cette coalition emmenée par Laurent-Désiré Kabila, qui devient le nouveau président du pays rebaptisé République démocratique du Congo. En 1998, le chef de l’Etat se brouille avec les militaires rwandais et ougandais qui l’avaient aidé dans sa conquête du pouvoir.
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A l’Est, la guerre ne cesse pas. En quête des nombreuses richesses minières de la RDC, les miliciens ougandais et rwandais se sont tournés vers les opposants de Kabila, lors de la deuxième guerre du Congo, de 1998 à 2002. L’arrivée au pouvoir de Joseph Kabila après la mort de son père, assassiné en 2001 par l’un de ses gardes du corps, ne met pas fin aux tensions. Les massacres se poursuivent aujourd’hui.
Quelle est la situation actuelle ?
Depuis novembre 2021, l’attention est focalisée sur le Mouvement du 23 mars (M23), qui a relancé une offensive à l’Est alors qu’elle avait arrêté les combats depuis 2013. Cette rébellion est, selon un rapport d’experts des Nations unies, soutenues par le Rwanda voisin. Pour Pierre Jacquemot, maître de conférences à l’Institut d’études politiques de Paris, « les Rwandais ne sont jamais véritablement partis du Congo. Après le génocide, ils ont acquis une espèce de compassion internationale. Il était difficile d’accuser le Rwanda de vouloir créer le chaos dans le pays voisin ».
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Début février, le groupe armé s’est emparé de la ville de Shasha et a coupé les axes de circulation dépendant de Goma (Nord-Kivu) et Bukaku (Sud-Kivu), les deux plus grandes agglomérations du pays. L’approvisionnement en denrées alimentaires est perturbé et les conséquences pourraient être très lourdes pour les populations civiles déjà en manque de nourriture. L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture et le Programme alimentaire mondial des Nations estime que 6,7 millions de personnes résidant dans le Nord et le Sud-Kivu et en Ituri sont en situation de crise ou d’ urgence alimentaire.
Pourquoi cette instabilité politique dure-t-elle aussi longtemps ?
A la dimension géopolitique du conflit initial s’ajoute une explication économique au vu des nombreuses richesses minières qui intéressent les milices sévissant sur le territoire congolais. « Toutes sortes de groupes contrôlent les mines et les gisements, explique au Monde Pierre Jacquemot. On peut penser que le Rwanda a largement profité de ce trafic pour assurer son développement économique ces vingt dernières années. »
Les sols de la RDC concentrent entre 60 et 80 % des réserves mondiales de coltan, minéral utilisé pour produire les smartphones et les ordinateurs. De nombreuses mines d’or et de cobalt sont également disséminées sur le territoire. Les milices rivales s’affrontent pour piller ces richesses et y exploiter ceux qu’on appelle « les creuseurs ». D’après l’ONG Amnesty International, environ 40 000 enfants travaillaient dans ces mines « dans des conditions particulièrement périlleuses ».
Quel rôle a joué l’ONU dans le conflit ?
Dès l’arrivée au pouvoir par la force de Laurent-Désiré Kabila en 1997, l’Organisation des Nations Unies (ONU) avait envoyé des experts pour enquêter à Mbandaka, où avaient été perpétrés des massacres causant des milliers de morts. Mais la mission a été un échec et n’est pas parvenu à collecter des preuves.
Les forces onusiennes ont également enquêté sur « les violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises entre mars 1993 et juin 2003 sur le territoire de la République démocratique du Congo ». Le rapport Mapping publié en 2010 était accablant sur les agissements des autorités rwandaises, mais il n’a pas été suivi d’effet. Aucune des personnes mises en cause dans les 581 pages n’a été poursuivie par des tribunaux nationaux ou internationaux.
Le Monde
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Le dernier revers de l’ONU concerne la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (Monusco), lancée en 1999 dans le but d’éradiquer les groupes armés et de faire cesser la violence dans le pays , et qui doit s’arrêter à la fin de l’année 2024. Plus de 1,5 milliard de dollars ont été investis chaque année, et des milliers de casques bleus envoyés, sans parvenir à des résultats satisfaisants.
A la demande du président congolais, qui a appelé à un retrait « accéléré » des casques bleus, à qui il a reproché à la tribune de l’ONU en septembre de ne pas avoir « réussi à faire face aux rébellions et conflits armés », la Monusco a entamé son retrait du pays, qui doit s’achever à la fin de l’année. « Les Nations unies, à travers la Monusco, ne sont pas arrivées à extirper la violence de cette région. Les populations reprochent à leurs forces de toujours arriver après coup, de ne rien anticiper et de ne pas avoir de mandat offensif », selon Pierre Jacquemot, qui a été ambassadeur en RDC.
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Quel est le bilan humain de ces années de conflit ?
Il est difficile de déterminer un bilan du nombre de morts dus à la succession des conflits en RDC. L’ONG International Rescue Committee avance le chiffre de 5,4 millions de morts sur la période 1998-2007. Des décès qui ne sont pas seulement liés aux massacres des deux dernières décennies : « ce sont les déplacements, les maladies comme le choléra et la malnutrition, qui ont fait le plus de victimes », souligne Pierre Jacquemot. L’Organisation internationale pour les migrations estime que 6,9 millions de personnes ont dû être déplacées à l’intérieur du pays en raison de multiples crises.
Les femmes payaient un lourd tribut dans le pays : selon l’ONU, plus de 200 000 femmes ont été violées depuis 1998. Des dizaines de milliers d’entre elles ont été soignées dans l’hôpital de Panzi (à Bukavu, dans l’ est de la RDC), dirigé par Denis Mukwege. Le gynécologue obstétricien avait rappelé à la communauté internationale la situation catastrophique du pays, lors d’un discours à Oslo, où il a reçu le prix Nobel de la paix en 2018.
Lire le reportage : « Même quand les conflits cessent, le viol se perpétue » : en RDC, le fléau des violences sexuelles
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