Contrebande de cobalt et corruption font perdre des milliards à la RDC
La stratégie de réforme des industries extractives du pays ignore l’impact de l’exploitation illégale du cobalt sur les populations, l’environnement et l’économie.
Publié le 18 juin 2024 dans ISS Today
Par
Oluwole Ojewale
coordinateur de l’Observatoire régional du crime organisé ENACT – Afrique centrale, ISS
La République démocratique du Congo (RDC) est le premier producteur mondial de cobalt, représentant environ 70 % de la production mondiale. Cependant, la chaîne d’approvisionnement de ce minerai stratégique en provenance de la RDC est entachée par des niveaux complexes de criminalité organisés. Il s’agit notamment de l’exploitation minière illégale, de la contrebande et de la collusion entre les mineurs illégaux, des bandes criminelles organisées et des acteurs étatiques impliqués dans l’extraction et le commerce du cobalt.
Le cobalt joue un rôle crucial dans les technologies modernes. Il est utilisé pour produire des batteries lithium-ion qui entrent dans la fabrication des véhicules électriques, des ordinateurs et téléphones mobiles. La transition vers les sources d’énergie renouvelables entraîne une demande massive de ces batteries. La demande mondiale de cobalt devrait quadrupler d’ici à 2030, principalement pour les véhicules électriques.
La RDC compte au moins trois niveaux de propriété et d’exploitation pour l’extraction du cobalt. En 2019, le gouvernement a accordé à l’Entreprise générale du cobalt le monopole de l’acquisition, de la transformation et de la commercialisation de tout le produit artisanal du cobalt dans le pays. Une autorité chargée de superviser et de gérer la production et l’exportation de minéraux essentiels à la sécurité économique et nationale de la RDC a également été créée. Enfin, les multinationales ont lancé de nouveaux programmes d’approvisionnement responsable en cobalt afin d’atténuer les risques liés à la chaîne d’approvisionnement en officialisant la production artisanale.
Cependant, l’État n’a pas la capacité de contrôler et de faire respecter les règles, laissant les titulaires de permis d’exploitation minière locale et étrangère opérer en toute irrégularité.
La contrebande de cobalt est favorisée par la corruption aux frontières de la RDC
En raison de l’instabilité du pays, de nombreuses sociétés étrangères titulaires de licences minières ne produisent pas elles-mêmes le cobalt, mais s’approvisionnent auprès des mineurs artisanaux. Environ 150 000 à 200 000 mineurs artisanaux exploitent les gisements de cobalt en RDC et un million de personnes dépendent de leurs revenus.
Le code minier stipule que tout citoyen adulte souhaitant participer à l’extraction artisanale de ressources minérales doit être membre d’une coopérative minière autorisée. Pour y adhérer, il faut un permis d’exploitation minière artisanale, délivré après une procédure d’enregistrement officielle. Bien qu’ils n’étaient pas de permis et être dans l’irrégularité, nombre d’entre eux ne considèrent pas leurs activités comme illégales et estiment que les minéraux leur reviennent de droit.
Les mineurs artisans de cobalt travaillent souvent dans des zones isolées, où l’accès et le contrôle de l’État sont difficiles. Les habitants des communautés environnantes achètent parfois la protection (en espèces ou en minéraux) des groupes armés qui contrôlent les sites afin de pouvoir extraire le minéral. Ils profitent parfois de la nuit pour se faufiler dans les mines.
La quantité de cobalt extraite de sites inaccessibles est en grande partie non comptabilisée et impossible à tracer. Elle est introduite dans la chaîne mondiale d’approvisionnement licite par corruption et contrebande.
L’exploitation illégale du cobalt nuit à la population locale et à l’environnement
Le cobalt venant de sites non autorisés est souvent acheminé vers des sites autorisés pour être certifiés par le ministère congolais des Mines. Ces pratiques sont facilitées régulièrement par omission ou collusion des autorités. La corruption, l’insuffisance de la réglementation et le manque de contrôle rendent ces pratiques difficiles à tracer tout au long de la chaîne d’approvisionnement, depuis les mineurs artisanaux jusqu’aux multinationales.
Bien que la présence de l’armée et de la police soit interdite dans les zones minières (en raison des exigences de certification mondiale contre les minerais de sang ou de conflit), le caractère informel des opérations minières dans les zones reculées encourage leur participation. Des défenseurs de l’environnement et des acteurs de la société civile ont expliqué à l’Institut d’études de sécurité (ISS) que des représentants des forces de l’ordre se rendaient sur des sites la nuit pour obtenir illégalement du cobalt auprès de mineurs artisanaux, qu’ils revendaient ensuite.
La contrebande de cobalt est favorisée par la corruption aux frontières avec la Zambie, le Burundi et la Tanzanie, où les agents de sécurité mal payés sont facilement corrompus. La police des frontières connaîtrait les véhicules utilisés par les contrebandiers et fermerait les yeux en échange de pots-de-vin. Les soldats et les agents chargés de l’application de la loi aux frontières assurent parfois la sécurité des contrebandiers qui transportent du cobalt vers les pays voisins.
Les contrebandiers de minéraux font preuve d’imagination et d’ingéniosité pour faire sortir le cobalt de la RDC, en présentant parfois de faux documents de traçabilité et de certification aux autorités frontales.
Des politiques sont nécessaires pour relever les défis dans les régions de la RDC riches en minerais
L’exploitation illégale du cobalt nuit à la population locale et à l’environnement. Les travailleurs ne présagent souvent pas de masques de protection et son inhalation à des niveaux élevés peut entraîner de graves problèmes de santé, notamment des cancers, des maladies respiratoires et des problèmes cardiaques. L’exposition paternelle au cobalt et aux sous-produits de l’exploitation minière est fortement associée aux malformations congénitales dans les communautés riches en minéraux. L’extraction du cobalt entraîne également des déversements toxiques qui détruisent les paysages, polluent l’eau et contaminent les cultures.
La production illégale de cobalt fait perdre au pays d’énormes revenus. En 2023, le ministre des Finances, Nicolas Kazadi, a déclaré que la RDC perdait près d’un milliard de dollars américains par l’introduction illégale de minéraux au Rwanda. Cette situation est néfaste pour l’économie du pays et représente une occasion manquée d’enrichir le trésor public, de réduire la pauvreté et d’améliorer les résultats en matière de développement.
Des politiques doivent être adoptées pour relever les défis identifiés dans les régions de la RDC riches en minéraux. Il s’agit notamment de réformer la réglementation du secteur minier artisanal, de renforcer la sécurité et de faire appliquer la loi tout au long de la chaîne d’approvisionnement en cobalt et d’améliorer la traçabilité des minéraux.
En 2021, le gouvernement a indiqué qu’il souhaitait transformer les matières premières sur le territoire national. Il travaille actuellement avec la Zambie pour créer une zone économique spécialisée où les premières matières peuvent être transformées en précurseurs de batteries. Kakule Vuko Ndondo, directeur exécutif adjoint du Conseil congolais des batteries, a déclaré que la RDC avait pour objectif de devenir l’un des principaux producteurs mondiaux de batteries d’ici 2030 ou 2040.
L’État devrait concrétiser cette aspiration en mettant en place des programmes solides de développement et d’exploitation minière pour les populations vulnérables dans les communautés isolées où l’extraction et le commerce illégal du cobalt sont courants. Cela créera des emplois dans le secteur de l’énergie et améliorera la participation des communautés au secteur extractif en garantissant la protection de leur part de marché.
Le gouvernement devrait s’attaquer à la corruption des agents de sécurité aux frontières en simplifiant et en harmonisant les procédures, en encourageant l’utilisation des nouvelles technologies et en améliorant le bien-être des agents frontaliers. La société civile pourrait accélérer la formation de groupes d’observateurs au niveau local pour surveiller, documenter et signaler les incidents sur les sites d’extraction de cobalt.
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