Le médecin semblait bien seul, lundi 18 décembre. Alors que la rumeur congolaise annonçait sa renonciation, le docteur Mukwege, candidat numéro 15 de la présidentielle congolaise, a confirmé le maintien de sa candidature dans un message vidéo cadre serré, le filmant debout et sans personne autour de lui. Une image qui évoquait la solitude de cet homme mondialement connu pour son travail auprès des victimes de violences sexuelles dans l’est de la RD-Congo (RDC).
Reprenant les thèmes principaux de sa campagne – la guerre dans l’Est, la lutte contre l’impunité et la corruption –, il apparaissait aux antipodes des manifestations de foule et de puissance manifestées par ses principaux rivaux. En premier lieu, du grand favori de cette élection, le président sortant Félix Tshisekedi. Et de ses deux principaux challengers, Moïse Katumbi et Martin Fayulu.
Manque de moyens
La différence entre la débauche de moyens de ces trois hommes et la simplicité quasi monacale de la dernière adresse du docteur Mukwege résume la campagne présidentielle de « l’homme qui répare les femmes ». « Là où le président sortant dispose de six avions pour mener sa campagne présidentielle, le docteur Denis Mukwege n’en avait aucun », note le réalisateur belge Thierry Michel, auteur de plusieurs films sur le Prix Nobel de la paix. « L’écart entre les moyens des principaux candidats et lui était trop considérable. Partant avec une telle inégalité en sa défaveur, il lui était difficile de pouvoir faire un jeu égal avec eux. »
Il ne s’est pas appuyé sur sa notoriété mondiale pour rassembler les fonds nécessaires afin de mener une campagne dans ce pays aussi grand que l’Europe occidentale et si mal desservie par ses infrastructures. « Il aurait dû se lancer non pas en octobre mais il y a deux ans pour avoir le temps de préparer les élections du 20 décembre », ajoute Léonnie Kandolo, l’ancienne porte-parole du Comité laïc de coordination (CLC), à l’ origine des marches pour une alternance démocratique en RD-Congo en 2017 et 2018.
Manque de notoriété
Faute de temps et faute de moyens, Denis Mukwege a échoué à se faire connaître du plus grand nombre. C’était pourtant le principal défi qu’il devait relever en se lançant dans l’arène politique. « Il est plus connu à l’étranger que chez nous, résume Léonnie Kandolo. Son action auprès des femmes est connue chez les intellectuels, les acteurs de la société civile, les défenseurs des droits humains, mais pas parmi les mamans qui vendent du poisson dans les marchés populaires de Kinshasa et d’ailleurs. »
« Quand il est venu à Beni, dans le Nord-Kivu, peu de monde s’est déplacé pour l’entendre, témoigne Gerlas Mukokoma Kambale, président du conseil de la jeunesse de la commune de Mulekara, de la ville de Beni. Chez nous, l’immense partie des plus modestes, c’est-à-dire presque la totalité de la population, ignorer tout ou presque tout de lui. Or, ce sont eux qui font l’élection, non la classe aisée et informée, trop peu nombreuse pour peser dans les urnes. »
Sa grande notoriété extérieure s’est même retournée contre lui : ainsi, il a été accusé par le président sortant d’être « le candidat des Blancs ». « Nous n’avons pas enregistré de cas de violence physique à la rencontre de Denis Mukwege et ses soutiens comme nous l’avons documenté pour d’autres candidats, note Thomas Fessy, de Human Rights Watch, mais il a été la cible d’autres candidats. ‘actes d’intolérance politique, notamment de vandalisme contre son matériel de campagne, ou des invectives verbales l’accusant d’être un «candidat de l’étranger». »
Une grande partie des classes supérieures lui reconnaît une sincérité et une crédibilité dans son engagement en faveur de la justice, de la lutte contre les crimes graves et contre l’impunité. « Mais est-ce suffisant pour convaincre les électeurs ? », s’interroge Thomas Fessy. Dans le dernier sondage sérieux, publié le 18 décembre par l’Institut congolais de recherche sur la politique Ebuleti et le Groupe de recherche sur le Congo, Denis Mukwege est crédité de 0,7 % des intentions de vote.
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Le président sortant part favori
Les élections générales sont composées de la présidentielle, de la députation nationale et provinciale et des communales partielles.
À la présidentielle, élection à un tour, le chef de l’État sortant, Félix Tshisekedi, 60 ans, fait figure de favori. Il fait face à 18 postulants issus d’une opposition morcelée, qui n’a pas su s’entendre sur un candidat commun.
Moïse Katumbi, 58 ans, riche homme d’affaires et ancien gouverneur du Katanga (sud-est), apparaît comme le challenger numéro un.
Martin Fayulu, 67 ans, qui affirme que la victoire lui avait été volée à l’élection de 2018, est le troisième candidat le plus important de la présidentielle.