Lawley Station, à 40 km au sud de Johannesburg. Sur ce plateau aride, des milliers de cabanes de tôle forment une masse compacte, dans laquelle serpente un dédale de ruelles de terre battue. Ce jour-là, elles sont investies par des jeunes du quartier vêtus de tenues jaune fluo. Par petits groupes, ils s’affairent à mesurer l’écart entre chaque portail donnant sur un groupement de cabanes. Deux pas pour un mètre. Smartphone en main, Lesego Maphike indique sur une application liée à Google Maps l’emplacement d’une entrée. « Ici c’est un lieu de culte. On essaie d’être le plus spécifique possible pour que les gens puissent se repérer. » Elle fait partie de la Trentaine de volontaires recrutés par l’ONG Planact pour cartographier le quartier et attribuer une adresse à chaque propriété.
Planact, qui lutte depuis 1985 contre l’exclusion des populations vulnérables, a lancé ce programme d’adresses numériques avec le soutien de Google. Le moteur de recherche fournit la plateforme permettant de recenser les habitations et de leur attribuer un « Plus code », soit des coordonnées géographiques simplifiées en une combinaison simple, utilisable sur Google Maps. Une plaque bleue indiquant le Plus code est ensuite apposée sur les habitations.
Difficulté d’accès des secours
Les habitants attendent cette nouveauté avec impatience. « Dès qu’il y a un problème, c’est très difficile d’avoir de l’aide. On doit retrouver les secours à la station de police ou au magasin d’alcools, pour ensuite pouvoir les guider, c’est très laborieux, et ils sont toujours hésitants », se plaint Elizabeth Tshishonka, résidente du quartier. Juste en face de sa maison, les restes calcinés d’une cabane de tôle sont les derniers témoins d’un violent incendie survenu quelques jours auparavant, qui a provoqué la mort d’un de ses voisins. « C’est arrivé en pleine nuit, se remémore-t-elle, abattue. On les a entendus pleurer et crier à l’aide. On a appelé les secours, mais ils ne sont arrivés qu’au petit matin. Il y avait quelqu’un à l’intérieur, il est mort brûlé vif, nous n’avons rien pu faire. »
La plupart des foyers sont chauffants et cuisinant au feu de bois ou à la paraffine, le risque d’incendie est élevé, accentué par la nature des infrastructures. Alors que la Constitution sud-africaine garantit depuis 1996 le droit à un logement décent, près du quart de la population urbaine sud-africaine vit, selon les estimations, dans des logements informels. Les autorités tâchent a minima d’assurer un approvisionnement en électricité, aux points d’eau et à des toilettes collectives. Mais la question des adresses fait partie des nombreuses problématiques restées en suspens.
Rétablir la dignité
Pourtant, cette impasse faite sur la localisation aggrave l’exclusion de populations déjà défavorisées. « Par exemple, ils ne peuvent pas ouvrir de compte en banque, explique Mike Makwela, coordinateur principal des programmes de Planact. Leur seule solution est donc d’emprunter une adresse à quelqu’un. » Pour les formulaires administratifs moins regardants, on se contentera d’inventer une adresse : « Pour inscrire mon fils à l’école, j’ai mis au hasard un nom et un numéro de rue, explique Nonhlanhla Mabunga, une habitante du quartier. Mais dans beaucoup de situations, un transfert à la clinique par exemple, il faut une vraie adresse. »
Un problème qui sera réglé avec les adresses numériques, puisqu’elles sont également enregistrées par les municipalités. « Elles soutiennent le projet, Johannesburg en particulier, se réjouit Mike Makwela. Il leur permet d’acquérir une base de données sur le nombre d’habitations dans ces quartiers, et donc d’améliorer sa planification urbaine. »
En tout, 8 000 foyers ont déjà retenu du programme, qui a également permis de soutenir financièrement 1 000 volontaires. Après ces projets pilotes concluants, l’ONG souhaite désormais amplifier l’initiative, une première en Afrique australe.