Emmanuel MACRON
Monsieur le Président, cher Félix,
Mesdames, Messieurs les ministres,
Mesdames, Messieurs les ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs, en vos grades et qualités,
Je veux d’abord vous redire tout le bonheur que nous avons de vous avoir en France, Monsieur le Président. Je sais que les premiers jours, les premières heures de cette visite se sont magnifiquement passées et d’ailleurs traduisent, je dirai, la complétude de nos relations et de nos ambitions.
Il y a un an, lorsque je me suis rendu à Kinshasa pour ma première visite en République démocratique du Congo, vous m’avez accueilli en ami – je ne l’oublie pas – et ce, jusqu’à Bandal. C’est donc naturellement en ami que j’ai le plaisir de vous recevoir ici à Paris ; car c’est ici Paris, pour cette nouvelle visite – la quatrième depuis que vous êtes chef de l’Etat, mais la première visite officielle – et je me réjouis de cette visite car elle témoigne de l’attachement qu’il y a entre nos deux pays dans des moments difficiles, il faut bien le dire, que vous vivez.
Monsieur le Président, l’année dernière à Kinshasa, nous avons discuté des pistes de renforcement de ce partenariat bilatéral et je voudrais évoquer tout le chemin parcouru.
D’abord, nous voulons continuer d’accompagner votre développement économique. On l’a évoqué ensemble, nos équipes ont travaillé sur ce sujet, et nous le faisons de manière partenariale, à votre écoute, en réponse à vos besoins, dans trois domaines principaux : l’appui aux métaux critiques, aux villes durables et la transformation numérique. À ce titre, je me réjouis de l’intensification des investissements et des échanges commerciaux entre nos deux pays, le partenariat entre Alstom, Metrokin et AFC, qui sera conclu cet après-midi pour construire un train urbain à Kinshasa. Et nous voulons continuer d’aller de l’avant : nous avons facilité les mécanismes de financement, l’AFD a accru sa présence et continuera de le faire, la Banque publique d’investissement avance aussi avec les entreprises et le développement du secteur privé.
Je sais votre attachement et je veux vous dire ici mon engagement pour aller plus loin sur des grands projets d’infrastructure : les corridors ferroviaires, y compris avec l’Angola, le projet Inga – et j’ai eu tout à l’heure le président de la Banque mondiale qui m’a dit son attachement et si la France était prête à y aller à votre côté, sa volonté d’avancer sur ce sujet. Et je veux ici vous dire que nous sommes prêts à y aller.
Et la volonté de continuer à avancer fortement avec ce que nous avons signé ensemble, c’est-à-dire le travail du BRGM pour cartographier à vos côtés vos ressources minières, et notre volonté ensemble de travailler à une plateforme et un mécanisme de traçabilité de tous les minerais. Et ce mécanisme que vous appelez de vos vœux, c’est celui que nous soutenons, celui qui permet de lutter efficacement contre les trafics pour tous les minéraux critiques, celui, par exemple, comparable au Processus de Kimberley pour le diamant qui existe aujourd’hui. Nous sommes volontaires pour avancer sur cette ligne, comme nous avons commencé à en poser les jalons lors de ma visite de l’année dernière.
Nous souhaitons aussi poursuivre les discussions pour une convention fiscale bilatérale. Nous avons lancé également une communauté Afrique-France entrepreneurs à Kinshasa la semaine dernière pour rapprocher les jeunes entrepreneurs français et congolais. Tout avance et nous voulons donc aller encore plus loin sur le plan économique. Je sais que vos discussions de cet après-midi y contribueront fortement.
Deuxièmement, la France déploie son action en appui de la population congolaise. Nous le faisons dans le sillage des actions que vous portez, Monsieur le Président, particulièrement en faveur la jeunesse et des territoires. Depuis 2022, sur un horizon de trois ans, nous avons engagé ensemble pas moins de 500 millions d’euros dans votre pays pour des projets concrets en matière de santé, d’éducation, d’enseignement supérieur et de recherche, de formation professionnelle, d’entrepreneuriat culturel ou encore de sport. Une fois ces engagements respectés, et ils le seront bientôt, je souhaite que nous puissions signer prochainement un nouveau protocole pluriannuel.
Je veux ici saluer les initiatives concrètes pour la jeunesse, j’en prendrai deux à titre d’exemple. Dans le domaine de la mode, la France accompagnera bientôt la création d’un institut régional de la mode à Kinshasa. Et dans le domaine sportif également, nombre de grands sportifs congolais jouent en France, à commencer par le capitaine des Léopards, Chancel MBEMBA – à qui je souhaite le meilleur pour le match de jeudi avec l’OM. Et nous voulons développer notre coopération sportive et allons soutenir la mise en place d’un institut national du sport à Kinshasa sur le modèle de l’INSEP en France. Ce projet vous avait été présenté, je le sais, hier, en marge d’un grand match de football qui s’est tenu à Clairefontaine.
Troisièmement, la France voit dans la RDC un partenaire clé dans la protection des trésors que nous avons en partage.
La forêt du bassin du Congo est l’un des poumons de notre planète. Nous avons lancé, lors de la COP 28 de Dubaï, un partenariat pour les forêts, la nature et le climat, ensemble aux côtés des États-Unis et de l’Allemagne, pour mutualiser les appuis financiers et techniques. Et je me réjouis que votre pays ait accepté de faire de Kinshasa la capitale hôte de la prochaine conférence des partis du partenariat pour les forêts du bassin du Congo, coorganisée avec le Gabon et la France.
L’autre trésor que nous avons en partage avec les forêts, c’est la langue. La RDC est le premier pays francophone au monde. La francophonie est un trésor en partage, communauté de valeurs, de solidarité dynamique et créative, et je suis à cet égard heureux de pouvoir vous réaccueillir lors du Sommet de la francophonie en octobre prochain.
Quatrièmement, nous voulons défendre la consolidation de la souveraineté de votre pays, c’est l’objectif de notre excellente coopération de sécurité et de défense. Le ministre des Armées se rendra donc prochainement dans votre pays sur la base des échanges que nous avons eus pour consolider, en particulier les initiatives en termes de formation, mais aussi capacitaires, que nous pourrions prendre pour renforcer justement cette souveraineté. C’est ce qui s’est manifesté à travers notre soutien à la création d’une école de guerre à Kinshasa, par notre appui à la formation d’une brigade de combat en jungle de votre armée. Cette dynamique, nous voulons la poursuivre. Elle est clé, y compris pour donner une crédibilité à ce partenariat minier et au retour plein et entier de votre souveraineté dans toutes les régions de votre territoire. Et c’est pourquoi nous voulons être à vos côtés pour ces objectifs de défense et de sécurité. Et donc le ministre des Armées fera le suivi dans les prochaines semaines en se rendant à vos côtés.
Enfin, votre visite intervient, je l’ai évoqué, dans un contexte particulièrement tragique pour le peuple congolais. Nous en avons évidemment longuement parlé avec le Président à l’instant.
La population de l’Est de la RDC souffre depuis maintenant trois décennies des conflits armés, des déplacements de population et des ingérences étrangères. La France continuera à se battre pour qu’elle ne soit pas oubliée et qu’une solution soit trouvée. Et vous recevoir, passer le temps que nous avons passé à parler en détail de ce qui se joue, c’est aussi redire très clairement qu’il ne peut pas y avoir de double standard et que nous, qui défendons l’intégrité territoriale en Europe, nous la défendons aussi sur le continent africain.
Dans ce contexte particulièrement douloureux, je veux évidemment réexprimer notre solidarité avec le peuple congolais et rappeler ici la position de la France. D’abord, la France ne transigera jamais sur l’intégrité territoriale et la souveraineté de la RDC. Ensuite, nous n’avons aucune difficulté à pointer les responsabilités. Je vais le dire avec la plus grande clarté possible : la France condamne fermement l’action de tous les groupes armés, et particulièrement l’offensive du M23, qui doit cesser les combats et se retirer de l’ensemble des territoires qu’il occupe. Tous les groupes armés, je dis bien tous, doivent être désarmés progressivement, démobilisés. Et c’est un recours plein et entier à votre souveraineté qui doit s’en suivre. Le Rwanda – je l’ai redit au président KAGAME dans un échange récent – doit cesser son soutien au M23 et retirer ses forces du territoire congolais. Je lui ai redit, et je le rappellerai dans les prochains jours.
Et l’urgence est à la désescalade. Il est également important, dans le même temps, de lutter contre les discours de haine et l’action des anciens génocidaires du FDLR. Et je veux vous remercier pour les engagements très clairs que vous avez pris, pour à la fois agir de manière très concrète et assumer politiquement la lutte contre les FDLR, et, nous, engager la communauté internationale et les forces onusiennes pour accompagner le processus, évidemment, de DDR, de cette force. Aucune de ces forces n’a quelque légitimité que ce soit. La seule force armée qui peut et doit opérer sur votre territoire, ce sont les forces armées de la RDC. La France salue l’engagement de la RDC à mettre fin aux agissements du FDLR, l’encourage à mettre en œuvre cet engagement, et nous sommes avec plusieurs autres alliés à vos côtés, vous le savez, pour mettre en œuvre cette avancée.
Enfin, la France s’est attachée aux processus diplomatiques régionaux. Nous pensons que la priorité doit être au dialogue et à la recherche d’une solution diplomatique sous l’égide du président angolais LOURENÇO, et nous soutenons cet agenda. Je souhaite qu’il puisse maintenant porter ses fruits de manière très concrète sur le plan justement des décisions sécuritaires et politiques. Et j’ai dit au président : nous allons très fortement l’appuyer, nous réengager, et je souhaite que d’ici à la fin de l’été, nous puissions avoir des initiatives pleinement conclusives pour sortir de la situation que vous connaissez depuis trop de temps.
Voilà, Monsieur le Président, cher Félix, ce que je souhaitais dire aujourd’hui. Je tiens une nouvelle fois à saluer votre présence, qui est celle d’un ami, du président du plus grand pays francophone au monde, mais aussi du président d’un grand pays d’Afrique où se jouent beaucoup des questions sécuritaires, mais aussi beaucoup des questions de développement économique, naturel, et que nous accompagnons et accompagnerons dans la durée. Vous pouvez compter sur la détermination de la France. Merci beaucoup Président.
(…)
Journaliste
Bonjour, messieurs les présidents. Alors, excusez-moi, mais nous, on a un train de retard. On n’a pas participé au (déjeuner).
Alors, je voudrais commencer par parler de cette guerre. Tout commence au génocide rwandais. La France a beaucoup à se reprocher ; le Président MACRON l’a dit et redit. Ce serait peut-être l’occasion de lever ou de déclassifier les documents toujours secrets pour savoir ce que l’on a exactement à se reprocher. Alors, aujourd’hui, la guerre continue et des sanctions sont demandées par la République démocratique du Congo. Ma première question, c’est : est-ce que cela a toujours été ou est toujours à l’ordre du jour ? Je vous avais déjà posé la question l’année dernière, ici. Ça, c’est pour le Président MACRON.
(…)
Emmanuel MACRON
Merci beaucoup pour votre question.
Sur les sujets mémoriels que vous avez évoqués, je veux ici être très clair. Il y a un exercice inédit, pas simplement de transparence, mais scientifique, qui a été conduit à ma demande. J’ai mandaté le professeur DUCLERT avec toute une commission d’experts reconnus, indépendants, qui, pendant de longs mois, ont fait un travail sur la base duquel j’ai prononcé le discours de 2021, qui est le seul discours et les seuls mots qui ont autorité en la matière.
Il y a ensuite un travail historique et historiographique qui se poursuit, et tout a été mis à disposition avec un dialogue et d’ailleurs même un changement de nos règles à la lumière de ces demandes. Donc, je vous renvoie là aux travaux de la commission Duclert, à mon discours de mai 2021 sur ce sujet.
Maintenant, je parle d’avenir. Sur la situation, notre volonté, c’est de la régler d’un point de vue militaire, sécuritaire et d’un point de vue politique, car tout se tient. Et vous avez raison, la situation que connait l’est de la RDC étant enkystée au fond depuis trois décennies, et certains ont pris des habitudes, il faut bien le dire, et elle suppose d’avoir une réponse à l’égard de tous les groupes armés.
C’est pourquoi je veux ici être très clair, puisque vous m’interrogez de manière générique sur la question des sanctions. La France, d’abord, a condamné publiquement les agissements rwandais à l’Est de la RDC, et ce à plusieurs reprises depuis la fin 2022. Nous avons aussi pris des sanctions : au niveau européen, c’est parce que la France a plaidé justement pour le renforcement du régime en vigueur en décembre 2022 que des mesures restrictives individuelles inédites ont été prises six mois plus tard à l’encontre des groupes armés congolais M23 et FDLR et d’un officier rwandais impliqué sur le terrain, au nord Kivu. Nous continuerons à explorer cette voie à chaque fois qu’elle sera nécessaire ; on a d’ailleurs parlé très précisément avec le Président de ce sujet. Pour le moment, nous considérons que, d’abord, on continuera à apporter des sanctions comme ça individuelles et ciblées en fonction des évolutions sur le terrain. Notre priorité, elle est à l’action DDR à l’égard de tous les groupes armés, réimplication des forces régionales onusiennes reconnues et acceptées par la RDC sur son sol, et avec un travail et des engagements que nous demandons au Rwanda. Et ce faisant, nous pensons que le dialogue et la recherche de la solution diplomatique et sécuritaire est plus efficace à ce jour. Mais rien ne doit être exclu et nous ferons tout ce qui est utile à chaque étape, comme nous l’avons fait tous ces derniers mois et ces dernières années.
Journaliste
Bonjour, alors au fond, j’ai une question qui est pour vous deux, Présidents, d’ailleurs. C’est-à-dire qu’en fait, on voit que le processus de Luanda patine depuis maintenant un an ; on peut dire que la situation dans le Nord-Kivu est pire aujourd’hui qu’elle ne l’était il y a un an avec le M23 qui a avancé, qui entoure Goma ; il n’y a pas de dialogue. Vous venez finalement de le dire à l’instant, Monsieur TSHISEKEDI : vous ne voulez pas parler à Paul KAGAME pour l’heure. Donc ma question est d’abord pour vous, qu’est-ce qu’il faudrait pour que vous vous mettiez à la table et que cette discussion puisse reprendre ?
Et Monsieur le Président MACRON, je voudrais savoir si vous pensez aujourd’hui que la France, qui est engagée à la fois au Rwanda, on le sait – fortes relations diplomatiques et militaires – et avec la RDC, peut encore, on va dire peser sur ce processus qui, on le voit, se porte très mal. Il y avait eu avant cela le processus de Nairobi qui, lui aussi, s’était terminé en échec. Donc, comment peut-on sortir de ce nœud à la fois que peut faire la France et qui faudrait-il pour que vous alliez parler à Monsieur KAGAMÉ.
(…)
Emmanuel MACRON
D’abord, je voudrais défendre quand même le travail qui est fait par l’Angola et son président, parce que je peux toujours critiquer les processus, mais enfin, il a le mérite d’exister, et il n’y a pas beaucoup de concurrents. Donc l’engagement du président LOURENÇO est une chance pour la sous-région, et je crois vraiment pouvoir le dire pour la RDC aussi, et il le fait avec beaucoup d’engagement, de courage et de ténacité. Et donc nous soutenons ces efforts, et nous nous coordonnons très étroitement avec ce qui est fait par le président LOURENÇO.
Ensuite, la priorité aujourd’hui, ça a été dit : c’est un processus de désarmement et de sortie du territoire des groupes armés qui n’ont rien à y faire. Alors désarmement et encadrement, si je puis m’exprimer ainsi, des FDLR, d’une part, et retrait des forces rwandaises qui sont sur le sol congolais. Ça, c’est la priorité. Puis, désarmement du M23 et processus d’accompagnement. La priorité, elle est là, elle est sécuritaire. C’est le plan sur lequel on a travaillé. Et donc, pour moi, c’est véritablement ces premiers pas maintenant qui doivent être mis en œuvre dans un dialogue que nous allons essayer d’accompagner.
Le rôle de la France est d’abord d’avoir une voix claire sur la question de la souveraineté territoriale en Afrique. Et je pense que c’est très attendu sur le continent et c’est très attendu pour la crédibilité même de notre action. Je l’ai dit, il n’y a pas de double standard. Et donc, on ne peut pas dire chaque jour que la souveraineté territoriale en Europe justifie des efforts massifs et notre soutien à l’Ukraine, mais que la souveraineté territoriale de la RDC, ce serait une question secondaire. Non, donc ça, on y tient.
La deuxième chose, c’est que parce que nous parlons à toutes les parties, c’est d’essayer d’aider cette médiation. Et comme nous l’avons fait aujourd’hui, je remercie encore une fois le Président qui a pris des engagements clairs sur les FDLR, qui suppose un engagement aussi très fort de la communauté internationale et des forces onusiennes, mais son poids politique est important pour ce processus. Il a du coup de la valeur vis-à-vis des Rwandais que je me fais fort de convaincre d’un retrait en parallèle de leurs forces qui n’ont rien à faire sur le sol congolais. Et si on arrive à réenclencher un tel processus, la confiance se crée.
Je suis très prudent, parce que vous avez raison de rappeler que les derniers mois ont plutôt été vers un accroissement des tensions. Mais il nous faut réengager. Le rôle de la France est celui-là, c’est de le faire avec beaucoup de transparence, avec la défense de nos principes, des équilibres de la sous-région et de le faire en lien très étroit avec les médiations régionales. Donc, nous allons continuer de nous engager de bonne foi sur des principes très clairement établis dont nous avons parlé ensemble et que je vous ai exposé dans la plus grande transparence. Je pense qu’on peut y arriver. Je dirais même que nous devons y arriver.
La réalité, c’est celle que votre confrère évoquait juste avant, c’est que nous parlons là d’une situation qui, depuis trois décennies, s’est installée. Et donc nous avons raison de nous y attacher collectivement, mais ça va supposer beaucoup de courage de tout le monde et un réengagement massif à tous égards. C’est aussi pour ça que tout ce qui est fait pour reformer, recréer l’unité des forces armées en RDC et reprendre la totalité de la souveraineté du territoire est très important côté congolais.
Merci beaucoup. Merci Mesdames et Messieurs, et merci à nouveau au Président.