En 2016, il avait dénoncé des faits de corruption sous le régime de Joseph Kabila, et avait dû s’exiler à la suite de menaces de mort. Aujourd’hui, huit ans après, l’ex-banquier Jean-Jacques Lumumba rentre à Kinshasa, et espère pouvoir défendre sur place, au Congo, les lanceurs d’alerte qui, comme lui, traquent l’argent sale et ceux qui en rentable. En ligne de la capitale congolaise, le petit-neveu de Patrice Lumumba répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Jean-Jacques Lumumba, où en est la lutte anti-corruption aujourd’hui en RD Congo ?
Jean-Jacques Lumumba : La lutte anti-corruption est en train de vivre des moments assez compliqués parce que, vous savez, il ya une institution qui a le vent en poupe, qui lutte contre la corruption, qui est l’Inspection générale des finances (IGF), chapeautée par Monsieur Jules Alingete. Mais la justice fait encore défaut parce que, pour beaucoup de dossiers, il n’y a pas d’avancées significatives.
Et alors, quand certaines personnes sont incriminées par un rapport d’enquête de l’Inspection générale des finances, qu’est-ce qui se passe ?
Quand une personne est incriminée, le dossier va auprès de la justice, mais je crois que la justice en RDC est gravement malade. Ce mercredi d’ailleurs, le ministre de la Justice l’a dit, en ouverture des états généraux de la justice, que la justice congolaise est malade. Et je pense qu’à ce stade-là, il ya quand même énormément de choses à faire, compte tenu du fait qu’il reconnaît que sept personnes sur dix ne sont pas satisfaites des verdicts rendus par la justice congolaise.
Donc, en fait, jusqu’à présent, aucun rapport de l’IGF n’a été suivi d’une enquête judiciaire. C’est ça ?
Il y a quelques rapports que l’on voit qui sont suivis d’enquêtes judiciaires, mais c’est très peu. La proportion entre les rapports produits et le niveau de la justice qui est rendu est très très faible à ce stade.
Il y a huit ans, vous avez quitté votre pays pour vous mettre à l’abri. Qu’est-ce qui vous décide à rentrer aujourd’hui, malgré les risques ?
Je pense qu’à un moment donné, il fallait faire le choix entre rester en exil éternellement et venir dans mon pays où j’ai mes racines pour pouvoir faire avancer certaines causes, entre autres la protection des lanceurs d’alerte. Donc, c’est le choix que j’ai fait malgré les risques, comme vous le dites si bien, de venir et de faire cela en RDC.
Et vous rentrez aussi au moment où se respectent les états généraux de la justice ?
Evidemment, c’est une belle coïncidence à un moment clé et épineux pour la lutte contre la corruption en RDC, d’autant plus que vous savez, en RDC, j’ai deux compatriotes qui vivent aujourd’hui en exil en France, Gradi Koko Lobanga et Navy Malela Mawani, qui ont été condamnés à mort par contumace pour avoir dénoncé la corruption. Donc, c’est un très bon moment et je crois que ce sera une occasion de mettre en valeur cette lutte contre la corruption et surtout l’impact de la justice sur cette lutte contre la corruption qui doit devenir efficace et assez répressive.
Quand vous avez quitté le Congo en 2016, vous avez été dans le collimateur du régime de Joseph Kabila, dont vous avez dénoncé les dérives et la corruption. Alors, depuis l’alternance de 2019 et l’arrivée au pouvoir de Félix Tshisekedi, est-ce que c’est toujours le même degré de corruption ou pas ?
Je pense que la corruption vit encore ses beaux jours en RDC, il faut le reconnaître. Mais je crois qu’il devrait aussi dire qu’il y a une petite avancée en ce qui concerne l’Inspection générale des finances, parce qu’à l’époque de Joseph Kabila, les rapports n’étaient pas faits. Tout ce qui était dit sur la corruption était considérablement et systématiquement étouffé. Mais aujourd’hui, on peut parler des rapports, on peut dire et savoir ce qui se fait. Les rapports sont faits et malheureusement la justice ne suit pas.
Y at-il à l’heure actuelle, au sein du pouvoir, des dirigeants congolais qui voient votre retour d’un bon œil ?
Évidemment, il y a des dirigeants qui ont facilité ce retour et je dois le reconnaître. J’ai cité par exemple le directeur de cabinet adjoint du chef de l’État, Monsieur André Wameso, ou l’inspecteur général des finances, Monsieur Jules Alingete. Il y a beaucoup d’autres personnes qui ont rendu ce retour facile parce qu’elles estiment que cela pourrait contribuer à faire avancer des questions de lutte contre la corruption.
Mais vous savez que vous allez déranger d’autres personnalités congolaises ?
Je le sais très bien. Je me prépare à ça. Le combat va être grossier, mais je pense que c’est la vérité et la justice qui vont finir par gagner.
Et avez-vous pu évaluer la perte que représente la corruption pour l’économie du Congo ?
Plusieurs rapports, il y a quelques années, ont évalué une perte sèche de plus de 15 milliards de dollars américains tous les ans à cause de la corruption en RDC.
Alors vous parlez de 15 milliards. Ou, à l’heure actuelle, le budget du Congo tourne autour de 12 milliards de dollars. Voulez-vous dire que, sans la corruption, on pourrait doubler ce budget ?
Evidemment, je crois que le budget de la RDC pourrait sensiblement être doublé si la corruption était sérieusement endiguée. On peut passer, pourquoi pas, de 12-13 à plus de 20 milliards de dollars tous les ans. Mais au-delà de serrer les vis autour de la corruption, il y a lieu de rationaliser les dépenses de l’État pour qu’elles puissent être dans les dépenses beaucoup plus sociales et des dépenses d’investissement qui, demain, pourront réduire sérieusement la pauvreté en République démocratique du Congo.
Quelles sont les dépenses inutiles à vos yeux aujourd’hui ?
Je crois que toutes les grandes institutions de l’État, gouvernement, présidence de la République, Assemblée nationale et autres, doivent être sérieusement réduites et que les gouvernants puissent avoir des salaires moins importants pour permettre à ce que la répartition de la richesse puisse être équitable à tous les niveaux.
Est-il vrai que les députés et les sénateurs congolais sont parmi les mieux payés du monde ?
Je crois que les députés et sénateurs congolais sont parmi les mieux payés du monde.