Vous connaissez leurs visages, qui s’affichent sur les édifices publics ou au JT, souvent accompagnés d’un décompte des jours de captivité : les otages deviennent malgré eux des personnages publics. Leur enlèvement, leur captivité et leur libération suscitent tous les fantasmes, avec leur lot d’intermédiaires douteux et de secrets bien gardés.
Et puis il y a les otages ordinaires, ceux des travailleurs de l’humanitaire qui exercent leur métier dans des zones de conflits où le risque d’enlèvement est permanent. À l’est de la République démocratique du Congo (RDC), on décompte une trentaine de kidnappings entre le 1er janvier 2023 et la mi-novembre 2023 ( Source : OCHA).
Juliette en fait partie. En décembre 2021, elle décroche un poste de chef de projet dans une ONG occidentale à Goma. Un mois plus tard, en route pour la province du Nord Kivu, son convoi est arrêté par des hommes armés au détour d’un virage. C’est le début d’une longue série de tortures, de menaces et d’interminables négociations.
“J’ai de la compassion pour lui, mais il n’en a clairement pas pour moi”
Après avoir passé une nuit dans la grotte où elle est séquestrée avec deux de ses collègues congolais, Juliette s’attire les foudres du “chef” et se fait ligoter. Elle raconte : “on me sort de la grotte et on me ligote au soleil et vraiment en trois minutes, je n’ai plus aucun sang dans les mains. J’essaye de m’asseoir et de m’allonger, d’appuyer sur l’un de mes bras pour essayer de faire revenir le sang. Je sens que ma main gauche bouge, il ya du sang, et ça me rassure beaucoup, et en plus du fait d’être ligotée, de paniquer. , je commence à me sentir très mal, quoi. Et trente minutes à une heure après avoir été ligotée, ils me détachent.
Elle conclut ce passage en ajout : “C’est le plus jeune, qu’ils appellent ‘petit’ ou ‘Asana’, il est très jeune et doit avoir 17-18 ans, il a encore des boutons d’acné. Des kalachnikovs sont dessinés sur ses bottes et il a un t-shirt très coloré, un jean déchiré, un peu à la mode, avec des strass dessus On a envoyé quelque chose de très, très enfantin chez lui. , mais je ne pense pas qu’il en ait pour moi, clairement.”
Un système de récompense sournois
Juliette et ses collègues, Stéphane et Laurent sont finalement libres de leurs mouvements. Les liens qui les entraînaient avaient été retirés. Un moment lunaire reste gravé dans la mémoire de l’ex captif : “après nous avoir libérés de nos liens, ils nous donnent des sodas à tous. Je comprends à ce moment-là qu’un mécanisme se met en place. Celui d’ une punition suivie d’une récompense. Des moments de violence, puis des moments où on aura à boire et à manger. Un procédé auquel les otages seront confrontés jusqu’à la fin de leur captivité auprès de leurs geôliers.
Les collègues de Juliette ont subi des blessures après avoir été ligotés, “la chair est à vif”. Pour les apaiser, Juliette tente diverses méthodes : “On essaie de faire quelque chose pour ces plâtres, on essaye de mettre de la salive. On essaye de mettre des feuilles qu’on trouve dessus pour éviter que les mouches viennent se poser sur les plâtres “. Alors que les différents soins que le jeune humanitaire prodigue à ses collègues restent sans effet, les geôliers prennent le relais, et c’est la stupeur. Elle se remémore : “les ravisseurs viennent me voir et dans la parka qu’ils m’avaient donné, dans la poche, il y avait un baume type “baume du tigre”. Ils prennent ce baume et ils vont en mettre sur mes collègues . En fait, ils les soignent un petit peu et ça conforte ma théorie de la punition-récompense. Je suis vraiment très, très perturbée.
Reportage : Marine Vlahovic Réalisation : Eric Lancien
Merci à Juliette, à Julie, à Milena et à Clément Baudet.
Pour aller plus longe :
À consulter : Pour mieux comprendre la situation dans le Nord-Kivu (RDC), rendez-vous sur les portails de France 24 ou RFI.
” RDC. Le business du kidnapping, un phénomène social en expansion”, Makanisi, 14 juillet. 2023
À lire : Dans Il suffit d’un espoir (2021), Anthony Fouchard retrace la prise d’otage de Sophie Petronin au Mali, libérée après plus de 3 ans de captivité, à l’âge de 75 ans.
Musique de fin : If I Was The Devil, Justin Townes Earle – Album : Kids in the street (2017)
Tous les titres depuis le début de la saison sont à retrouver sur Spotify.