Le président de la République démocratique du Congo, Félix Tshisekedi (à gauche), accueilli par le président français Emmanuel Macron à l’Elysée, à Paris, à l’occasion du Sommet de la francophonie, le 4 octobre 2024. SARAH MEYSSONNIER / REUTERS
Ce n’est pas au XIXe Sommet de la francophonie, organisé vendredi 4 et samedi 5 octobre à Villers-Cotterêts (Aisne) et Paris, que débattus les grands dossiers du monde. Pourtant, une bonne dizaine de chefs d’État ou de gouvernement africains et plusieurs de leurs homologues européens, américains ou asiatiques, seront présents. On n’y évoquera pas non plus les nombreux sujets de tensions en Afrique subsaharienne.
Deux exemples parmi d’autres illustreront la faiblesse diplomatique et politique de ce grand forum qui subit l’effacement de l’influence de la France sur le continent africain. Ainsi, il ne devrait pas être question de la transition chaotique en Guinée, placée sous le joug de plus en plus pesant d’une junte militaire ; ni de l’implication du Rwanda dans la guerre qui, depuis presque trois ans, martyrise les populations dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC).
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Certes, le président français doit rencontrer, vendredi à l’Elysée, son homologue congolais Félix Tshisekedi. Puis, le lendemain, au Grand Palais, le Rwandais Paul Kagamé. Des rencontres bilatérales lancées par Paris, en marge, et non dans l’enceinte du Sommet de la francophonie, dont les deux pays sont membres. L’ambition diplomatique est d’ailleurs modeste. « Emmanuel Macron encouragera les deux partis à aboutir à un accord au plus vite pour que les combats dévastateurs dans le Nord-Kivu prennent fin », indique une source à l’Elysée.
Tensions entre le Rwanda et la RDC
Une source diplomatique française précise que les discussions menées par la médiation angolaise, le processus dit de Luanda soutenu par la France, connaît « un coup d’arrêt ». Une rencontre directe entre les présidents rwandais et congolais n’est pas envisagée à Paris. Pour plus tard et ailleurs, cela reste « un objectif lointain, atteignable seulement si les deux parties font un pas l’une vers l’autre, ce qui n’est pas actuellement le cas », ajoute cette source. Elle se contente d’observer que « Paul Kagamé et Félix Tshisekedi seront présents dans la même salle avec les autres participants au Sommet, c’est déjà ça ».
L’impuissance de la francophonie à peser sur ce dossier tient notamment à la défiance de la RDC vis-à-vis de l’actuelle secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), Louise Mushikiwabo, ancienne ministre rwandaise des affaires étrangères (de 2009 à 2018), fidèlement alignée sur son président Paul Kagamé. Le 20 mars, Kinshasa avait d’ailleurs ouvertement boycotté la journée de la francophonie.
Christophe Lutundula, chef de la diplomatie congolaise à ce moment-là, avait rappelé qu’en plus d’être un espace linguistique, la francophonie est « une communauté de valeurs comme celles de paix, de démocratie, d’État de droit, de solidarité, d’égalité entre hommes et femmes et de diversité culturelle ». Le ministre dénonçait dans la foulée « le silence et l’indifférence de la francophonie institutionnelle face à l’agression de la RDC par le Rwanda, un des membres de l’OIF, et des tragédies qu’il provoque depuis trois décennies », qualifiant cette attitude d’« inadmissible et contradictoire ».
Une secrétaire générale contestée
C’est l’une des conséquences du choix d’Emmanuel Macron de faire élire, en octobre 2018, Louise Mushikiwabo à la tête de l’OIF, organisation forte de 88 membres (Etats ou provinces). « Il a fait cadeau de ce poste au Rwanda pour avancer sur l’enjeu mémoriel (lié au rôle controversé de la France lors du génocide de 1994) et apparaît comme celui qui aura rappelé les morceaux d’une relation dégradée avec Kigali », analyse Aurélien Taché. Ce député (La France insoumise) du Val-d’Oise conduit avec l’élue (La République en marche) des Français établis hors de France, Amélia Lakrafi, une mission d’information parlementaire sur la francophonie.
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« Le rapprochement avec le Rwanda s’est opéré au prix du renoncement d’une francophonie politique défendant les valeurs démocratiques dans l’espace francophone », ajoute un ancien chef d’une des directions de l’OIF. Il rappelle que Paul Kagamé, au pouvoir depuis 1994, a été de nouveau réélu en juillet 2024 avec plus de 99 % des voix. « Comme Emmanuel Macron, le secrétaire général à une approche plus managériale que politique », ajoute Aurélien Taché.
Le XIXe Sommet a ainsi pour thème : « Créer, innover et entreprendre en français ». Aux yeux des deux députés français cités précédemment, il devrait également « se concentrer sur un rôle d’intermédiation politique entre les Etats, notamment dans les situations de crise, comme au Sahel ou en RDC ».
La Guinée réintégrée
Concernant la Guinée, le président de la transition, Mamadi Doumbouya, ne sera pas à Villers-Cotterêts. Mais un certain malaise a accompagné la décision prise par l’OIF, mi-septembre, de réintégrer dans ses rangs ce pays d’Afrique de l’Ouest. Conakry avait été suspendu dans la foulée du putsch mené le 5 septembre 2021 par l’ancien de la légion étrangère française puis chef du groupement des forces spéciales guinéennes contre le président Alpha Condé.
Depuis, la junte qu’il dirige multiplie les coups de menton en direction des médias, des partis politiques, de la société civile voire de ses frères d’armes. Oumar Sylla, alias Foniké Mengué, et Mamadou Billo Bah, deux militants du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), n’ont donné aucun signe de vie depuis leur enlèvement par des militaires le 9 juillet. Le 25 septembre, les autorités ont annoncé, sans autres explications, la mort en détention du colonel Célestin Bilivogui, porté disparu depuis plusieurs mois.
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Les trois pays putschistes du Sahel – Mali, Burkina Faso, Niger – sont, quant à eux, toujours suspendus de l’OIF. « Cela peut apparaître comme deux poids deux mesures mais nous ne pouvons pas nous fâcher aussi avec la Guinée même si elle s’éloigne de nos valeurs », glisse un diplomate français. « Il faudrait pourtant démontrer que la francophonie n’est plus un outil d’influence des gouvernements français », explique pourtant Aurélien Taché. D’autant, selon le député, que le français en Afrique est « parfois vu comme la langue des seules élites administratives, voire marquée par un héritage autoritaire ou colonial ».
La langue française menacée
Certes, le continent africain demeure « le cœur battant de la francophonie ». Il abrite 75 % de quelque 100 millions d’élèves au monde scolarisés en langue française. Mais l’avenir est loin d’être radieux. Partout dans le monde, l’usage du français est battu en brèche par celui de l’anglais. Et dans l’espace africain, francophone, la croissance démographique submerge les systèmes éducatifs qui ne cessent de s’appauvrir.
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Cela faisait trente-trois ans que la France n’avait pas organisé la grande-messe de la francophonie sur son sol. Le prochain sommet continental Afrique-France se tiendra quant à lui à Nairobi, la capitale kenyane. « On nous explique que c’est en Afrique de l’Est, anglophone, que se trouvent des opportunités de business et de rayonnement pour la France. Mais là-bas, personne ne nous y attend. Ce qu’il faudrait c’est réinventer un projet francophone sauf que ça n’a pas l’air d’intéresser le pouvoir actuel », conclut Aurélien Taché.
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