Un vent mauvais souffle en République démocratique du Congo (RDC), à peine trois mois après une élection présidentielle tronquée et la victoire contestée du président sortant, Félix Tshisekedi. Le dernier à en avoir fait les frais est le journaliste congolais Stanis Bujakera, correspondant de Jeune Afrique et de Reuters à Kinshasa, pour avoir évoqué dans l’un de ses articles le rôle du renseignement militaire dans l’assassinat de l’opposant Chérubin Okende. , en juillet dernier.
Accusé d’avoir « fabriqué et distribué » un faux document dans le but de « jeter le discrédit » sur les institutions congolaises, il risquait jusqu’à vingt ans de prison. À l’issue d’un procès qui a duré des mois, le tribunal a finalement été condamné, lundi 18 mars, le journaliste à six mois de prison ferme. En prison préventive depuis septembre, le journaliste a été libéré dans la nuit du 19 au 20 mars, à la grande satisfaction de ses proches.
Cette affaire inquiète de nombreux observateurs. Quelques heures avant le verdict, les organisations professionnelles de journalistes de RDC s’étaient réunies pour dénoncer les poursuites visant Stanis Bujakera, voyant dans son procès un avertissement du pouvoir à tous ceux qui entendent le critique. Selon Reporters sans frontières (RSF), Stanis Bujakera n’était « ni l’auteur, ni même le premier à avoir obtenu la note pour laquelle il était poursuivi ».
Une autre affaire nourrit l’inquiétude dans ce pays : la mort suspecte de Chérubin Okende, ancien ministre des transports et porte-parole du principal opposant Moïse Katumbi, tué par balles en juillet 2023. Après avoir enquêté, la justice a conclu à un suicide le 29 février. Mais les avocats de la famille ont relevé l’absence de nombreux documents dans le dossier judiciaire, comme le rapport complet de la balistique. La mort d’Okende est devenue un sujet si sensible en RDC que toute critique émise contre ce jugement a été interdite par le pouvoir : les téméraires qui s’y risqueraient s’exposent à une arrestation pour « propagation de faux bruits ».
Le retour de la peine de mort
Symptôme du raidissement du pouvoir congolais, le gouvernement de Kinshasa a décidé de suspendre le moratoire sur la peine de mort en vigueur depuis vingt ans, ouvrant ainsi la voie à la reprise des exécutions capitales contre les militaires coupables de trahison et les responsables du « banditisme » urbain entraînant mort d’homme ». « Cette mesure populiste est particulièrement dangereuse dans un pays où la justice est dysfonctionnelle et « malade » », a jugé le docteur Denis Mukwege, Prix Nobel de la paix, le 16 mars. Il s’agit d’« une grave régression et d’un nouveau signe du recul alarmant de l’administration Tshisekedi en matière de droits humains », s’alarme de son côté Amnesty International.
Le retour de la peine de mort pour les « traîtres » intervient alors que la situation sécuritaire ne fait que se dégrader dans l’est du pays. Les combats ont même repris samedi 16 mars, après un bref moment d’accalmie, entre les rebelles du M23 et les forces gouvernementales et leurs alliés dans la cité stratégique de Sake, où huit casques bleus ont été blessés, selon l’ONU. Dans son combat contre cette rébellion, accusée d’être soutenue par le Rwanda, l’armée congolaise et ses milices armées subissent revers sur revers.
Dans ce contexte d’hyperviolence et d’échec politique, Kinshasa a lancé une série d’arrestations de militaires, de députés, de sénateurs et d’entrepreneurs pour « complicité avec l’ennemi ». À la suite de la levée du moratoire sur la peine de mort, de nombreux observateurs craignent que l’accusation de « traîtrise » permette d’éliminer « légalement » ceux qui dérangent le pouvoir dans l’est du pays. « Les grands traîtres à la patrie, ce sont ceux qui sont au pouvoir et qui n’assument pas le rôle pour lequel ils ont reçu la charge », a réagi Mgr Ambongo, l’archevêque de Kinshasa, redoutant que le pouvoir « profite de cette notion pour des règlements de comptes politiques ».
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L’affaire Chérubin Okende
13 juillet 2023 : Le corps de Chérubin Okende, ancien ministre des transports et figure populaire de l’opposition, a été retrouvé criblé de balles dans sa voiture.
8 septembre 2023 : Arrestation du journaliste Stanis Bujakera pour son article, non signé de son nom, sur le rôle joué par les renseignements militaires dans la mort d’Okende.
29 février 2024 : Le parquet annonce que « l’autopsie » et « les expertises » ont établi que Chérubin Okende s’est « suicidé ». Son parti, qui défend la thèse de l’assassinat, évoque un « déni de justice ».
20 mars 2024 : Funérailles de Chérubin Okende, huit mois après sa mort.