Le nouveau rapport de l’Aide à l’Église en Détresse constate l’augmentation des persécutions à la rencontre des chrétiens. Leur situation s’est légèrement voire fortement dégradée dans 60% des 18 pays étudiés, en Afrique mais aussi en Asie.
Les chrétiens de plusieurs pays sont « confrontés à l’extrémisme djihadiste, que ce soit au Burkina Faso ou au Mozambique. Mais l’oppression des croyants par des régimes autoritaires en Chine ou au Nicaragua est tout aussi amère». C’est avec ces mots que Mgr Bachar Warda, archevêque d’Erbil en Irak, ouvre le dernier rapport de l’Aide à l’Église en Détresse (AED). Cette fondation internationale de droit pontifical, qui a des centaines de témoignages dans 18 pays du 1er août 2022 au 30 juin 2024, a présenté mardi les résultats de sa nouvelle étude « Persécutés et oubliés ? Un rapport sur les chrétiens opprimés pour leur foi 2022-24». Cet état des lieux confirme que les chrétiens sont de plus en plus persécutés à travers le monde, et que leur situation s’est légèrement voire fortement dégradée dans 60% des pays cités, comme au Soudan, au Nicaragua, en Chine et en Iran.
En 2021, les données du Pew Research Center montraient que le harcèlement à motivation religieuse contre les chrétiens touchait 160 pays. Le rapport de l’AED est pourtant concentré sur 18 pays : la Turquie, la Syrie, l’Irak, l’Iran, le Pakistan, l’Inde, la Corée du Nord, la Chine, le Vietnam, la Birmanie, l’Érythrée, le Soudan, le Mozambique, le Nigeria, le Burkina Faso, le Nicaragua, l’Égypte et l’Arabie saoudite. Il détaille cependant que ces derniers ne sont pas nécessairement ceux où il est le plus dangereux d’être chrétien, mais plutôt «des pays où la situation des fidèles a été d’un intérêt particulier» au cours de la période donnée. Le rapport n’est donc pas exhaustif.
Arrivée de la violence islamiste en Afrique
Un important constat exposé dans l’étude est que «le point focal stratégique de l’agression militante islamiste transnationale contre les chrétiens et d’autres cibles majeures s’est déplacé de manière décisive du Moyen-Orient vers l’Afrique». Une partie du continent est ainsi en proie à la montée du djihadisme, notamment la région du Sahel (Burkina Faso, Mali, Niger, Nigeria) mais aussi le Mozambique. Et si des musulmans et des animistes subissent aussi ces violences, les témoignages révèlent par le rapport prouvent que les chrétiens sont particulièrement ciblés, «surtout dans les régions où ils sont minoritaires».
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Au Burkina Faso, les groupes terroristes liés à al-Qaida et Daech contrôlent plus de 40% du territoire. Plus de deux millions de personnes, soit environ 10 % de la population, ont été déplacées en raison du conflit armé en cours. Les attaques menées par les bandes islamistes touchent divers groupes religieux, dont les chrétiens, mais aussi les musulmans traditionalistes. Mgr Justin Kientega, évêque de Ouahigouya, déplore qu’il n’y ait un «plus de liberté de culte». En novembre 2023, plusieurs centaines de chrétiens ont été expulsés d’un village et deux adolescents assassinés pour le seul motif qu’ils s’étaient rendus à l’école malgré une interdiction. Cette année, quinze catholiques sont morts lors des prières du dimanche et peu de temps après, un catéchiste a été enlevé et retrouvé mort le lendemain.
Le Nigeria est classé huitième dans l’indice mondial du terrorisme pour l’année 2024. Et même si, dans ce pays aussi, les musulmans sont touchés par la violence, les chrétiens le sont de manière disproportionnée. De nombreux membres de l’Église ont été tués ou enlevés, les ravisseurs étant motivés par les rançons qui ruinent les communautés qui se cotisent pour les payeurs. De plus, les pogroms organisés par les insurgés coïncident avec les fêtes chrétiennes. La veille de Noël l’an dernier, un certain nombre de villages de l’État de Plateau ont été attaqués, coûtant la vie à des centaines de personnes. Lundi de Pâques de cette année, dix chrétiens dont une femme enceint et son bébé à naître ont été assassinés. Les militants peuls, auteurs présumés de l’attaque, ont tué une trentaine de personnes et incendié des lieux de culte et d’habitation les jours suivants.
Au Moyen Orient, le choc des années de guerre
Si le militantisme djihadiste persiste par endroits au Moyen-Orient, les autorités régionales sont parvenues à faire «des progrès significatifs dans la répression des groupes islamistes violents». Les pays du Moyen-Orient sont cependant «encore sous le choc d’années de guerre et de terreur, et les populations chrétiennes de certaines régions, comme l’Irak ou la Terre sainte, sont confrontées à une menace existentielle», détaille le rapport. . Il donne l’exemple de la Syrie où la guerre a éclaté en 2011. Une part très importante de la population chrétienne, particulièrement touchée, a depuis fui le pays. Ainsi, alors que l’Église comptait plus d’1,5 million de fidèles au début de la guerre, ils ne sont plus que 250.000 aujourd’hui d’après les plus récentes estimations. Ils sont également touchés par une extrême pauvreté d’après le patriarche grec melkite catholique Youssef Absi, qui déclare, cité par le rapport, qu’ils n’ont «plus confiance en leur pays» et que sans soutien, rien ne peut «les convaincre de rester».
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La situation est tout aussi préoccupante en Iran, où les chrétiens et autres minorités ont vu leurs droits se détériorer depuis 2022. Le nombre de détenus a fortement augmenté, passant de 59 en 2021 à 166 en 2023. Par ailleurs, distribuer des bibles ou échanger avec des musulmans qui se sont convertis au christianisme peuvent entraîner l’emprisonnement. Ils auraient été jusqu’à 1,2 million à avoir changé de foi et à vivre dans la clandestinité, et de nombreux exemples de convertis emprisonnés sont cités dans le rapport. Leurs peines vont de 2 à 16 ans d’emprisonnement.
En Irak, la population chrétienne «a périclité sous le régime brutal de Daech». Ils sont actuellement moins de 200.000, soit environ 0,46 % de la population (41 millions d’Irakiens) et malgré une représentation symbolique des minorités au sein du gouvernement, «ils ne participent que très marginalement à la direction politique de leur pays» . De plus, en avril 2024, ils auraient été victimes de harcèlement pendant le Ramadan et vers la fin du mois de juin, l’armée turque a bombardé le village chrétien de Mîska dans le contexte d’une campagne militaire pour déloger les combattants du Parti. des travailleurs du Kurdistan.
2 chrétiens sur 5 persécutés en Asie
Le rapport n’oublie pas le continent asiatique où les chrétiens sont, eux aussi, fortement persécutés. D’après la liste World Watch 2024, 2 chrétiens sur 5 sont persécutés en Asie. C’est 1 sur 5 en Afrique. Les chrétiens, minoritaires dans plusieurs pays asiatiques, «sont souvent considérés comme des citoyens de seconde zone». La situation s’est fortement dégradée en Chine, avec une augmentation des restrictions et des arrestations, en Inde où les attaques contre les chrétiens et leurs lieux de culte ne cessent d’augmenter et au Pakistan, où « les enlèvements et les mariages forcés de jeunes filles chrétiennes» s’accroissent.
La situation reste similaire à celle du dernier rapport d’il ya deux ans dans de nombreux États à l’instar de la Corée du Nord, qui continue «d’effacer toute trace du christianisme», et de la Birmanie, où les attaques contre les lieux de culte se prolongent. Parmi tous les pays cités dans le rapport, seuls les chrétiens du Vietnam ont vu leur situation s’améliorer légèrement. En effet, malgré des problèmes persistants, «les relations entre catholiques et l’État se sont améliorées».
«Je me souviens encore de la terreur provoqué par la montée des djihadistes, mais aussi de l’espoir des peuples et de la charité dont ont fait preuve nos frères et sœurs du monde entier», explique toutefois Mgr Bachar Warda, archevêque d’Erbil. en Irak dans la préface de l’étude. «Malgré cette détresse et cette souffrance réelle des chrétiens dans le monde, nous sommes aussi témoins de l’espérance», rapporte Benoît de Blanpré, directeur de l’AED qui fait le même constat. Il observateur déclare «des signes magnifiques de leur courage et de leur foi». Mgr Bachar Warda appelle, comme tous ceux cités dans l’étude, à un «engagement politique clair et décisif, pour aider celles et ceux dont le seul crime est la foi qu’ils professent».