La Croix : Vous publiez une nouvelle étude sur les dynamiques démographiques mondiales à l’Ined. Quelles sont les principales conclusions, notamment en Afrique ?
Gilles Pison : D’après les statistiques de l’ONU, nous sommes 8,2 milliards d’êtres humains sur Terre aujourd’hui, alors qu’il n’y avait qu’un milliard de personnes il ya deux siècles. La population mondiale devrait encore continuer à croître pour atteindre près de 10 milliards d’êtres humains en 2050. La croissance décélère cependant et devrait s’arrêter avant la fin du siècle en raison de la diminution de la fécondité. Après avoir été décuplée en trois siècles, la population mondiale devrait avoir cessé de croître en 2100, voire diminuerait légèrement.
L’Afrique compte aujourd’hui 1,5 milliard d’êtres humains, soit près d’un humain sur cinq. Le continent devrait voir sa population augmenter de façon substantielle au cours des prochaines décennies. Selon les projections moyennes de l’ONU, elle compterait 2,5 milliards d’habitants en 2050 (soit un humain sur quatre) et 3,8 milliards en 2100 (plus d’un humain sur trois).
Quelle est l’évolution de la fécondité en Afrique ?
GP : Quoique la plus élevée au monde, la fécondité diminue en Afrique, avec quatre enfants en moyenne par femme en 2024 (4,3 en Afrique subsaharienne), contre cinq enfants il ya 20 ans et six il ya 40 ans. Les Nations unies font l’hypothèse qu’elle continuera de baisser pour atteindre 2,8 enfants par femme en 2050 et deux en 2100, ce qui rapprochera alors le continent africain de la moyenne mondiale (1,8 enfant par femme).
La fécondité est aujourd’hui plus faible en Afrique du Nord (2,7 enfants par femme en Algérie, 2,2 au Maroc, 1,8 en Tunisie). On observe également des disparités au sein de l’Afrique subsaharienne. La fécondité est la plus élevée au Sahel et en Afrique centrale (RD-Congo et Centrafrique).
La diminution de la fécondité est liée au développement économique, à l’amélioration des conditions de vie et à la diffusion de l’instruction, notamment chez les femmes, qui contribuent à retarder la première union. Ces changements conduisent aussi les adultes à souhaiter moins d’enfants pour leur assurer une vie longue et de qualité (éducation, travail, logement). Ils limitent volontairement leurs naissances pour cela. Ce nouveau comportement, apparu il y a deux siècles en Europe et en Amérique du Nord, est diffusé ensuite partout dans le monde, y compris en Afrique.
La croissance démographique absorbe-t-elle la croissance économique ou la soutient-elle ?
GP : L’augmentation démographique ne constitue pas en soi une entrave au développement des pays. Ainsi, nous les huit milliards d’êtres humains vivent mieux et mangeons mieux à notre faim que le milliard d’humains présente il y a deux siècles. La part des humains qui souffrent de la faim n’a jamais été aussi faible.
Toutefois, lorsque la population augmente très rapidement comme dans une partie de l’Afrique, cela peut gêner le développement. L’accueil de générations de plus en plus nombreuses est un défi supplémentaire qui nécessite des investissements massifs dans le domaine de l’instruction, sachant qu’il faut aussi investir dans la santé, le logement, la création d’emplois.
Sahel, RD-Congo, Soudan, Tigré en Éthiopie… L’Afrique est marquée par de nombreux conflits. Quelles sont leurs conséquences sur la démographie ?
GP : Les conflits ont d’abord des conséquences directes. Ainsi, la plupart des famines d’aujourd’hui sont liées aux guerres civiles, qui empêchent l’aide humanitaire d’arriver à destination. Les conflits sont aussi un frein à la vaccination des enfants et aux soins, ralentissant ainsi les progrès de l’espérance de vie.
De façon paradoxale, les guerres ne contribuent pas à une baisse de la population. Au contraire, en respectant la diffusion de l’instruction et le développement économique, elles retardent la transition démographique et entraînent une population plus nombreuse à terme.