Une information judiciaire ouverte à la rencontre de l’archevêque de Kinshasa (RD-Congo). Un nouvel épisode des relations de plus en plus tendues entre le cardinal Fridolin Ambongo et les autorités congolaises. Dans une lettre datée du 27 avril, le parquet général près la Cour de cassation accuse le prélat de tenir « depuis belle lurette » des « propos séditieux », « de nature à décourager les militaires des forces armées de la République qui combattent au front, mais aussi incitatifs à la maltraitance par les rebelles et autres envahisseurs des populations locales déjà meurtries par autant d’années de déstabilisation ». Il enjoint ensuite au procureur général près la cour d’appel de Matete à Kinshasa, Firmin M’Vonde, d’ouvrir une information judiciaire contre l’archevêque.
Devant ces « comportements » qu’il analyse comme des « faits infractionnels, envers et contre la patrie, son peuple et ses dirigeants et qui mettent à mal les lois de la République », le parquet général avait convoqué l’archevêque de Kinshasa, par ailleurs président du Symposium des conférences épiscopales d’Afrique et de Madagascar (Sceam), jeudi 25 avril, pour qu’il s’explique sur ses déclarations « tenues lors des points de presse, interviews et autres sermons ».
Le cardinal Ambongo avait « décliné l’invitation ». Joint par La Croix International, l’entourage du cardinal a fait savoir qu’il ne comptait pas réagir à cette lettre du parquet de Kinshasa. « C’est seulement de la diversion », a minimisé l’un de ses proches. Et de poursuivre : « L’actualité pays doit rester dominée par les éventuels détournements de fonds alloués à la construction de fourrages ».
Accueillie de Pâques
Parmi les messages reprochés au cardinal Ambongo, figure l’homélie très politique lors de la messe de Pâques le 31 mars. Il s’était attardé sur l’insécurité dans l’est de la RD-Congo et plus précisément sur le ralliement de certains cadres de l’ancien régime – celui du président Joseph Kabila, au pouvoir de 2001 à 2019 – aux troupes rebelles du M23. « Nous pouvons les traiter de traîtres, ils ont pris la cause de l’ennemi, avait-il augmenté. Mais la question de fond, c’est pourquoi ces gens ont-ils agi de cette manière ? C’est parce qu’au niveau d’ici, nous continuons à poser des gestes qui bénissent les autres, qui fragilisent la communion nationale, qui excluent les autres. »
Ces propositions ont fortement déplu au parti du président Félix Tshisekedi qui ne s’en est pas caché et qui a exigé des explications. « Les mots du cardinal – j’espère qu’il fera une clarification – peuvent être perçus comme un encouragement, comme un soutien moral à ceux qui préfèrent prendre les armes pour conquérir le pouvoir, alors que nous sommes dans un cycle, depuis deux. ans, qui veut que nous puissions sortir de cela », s’est indigné le porte-parole du gouvernement congolais Patrick Muyaya. Et de poursuivre : « Ce n’est pas une rébellion, c’est une agression qui est établie d’un pays étranger. Que des compatriotes pensent qu’il faut se mettre sous celui qui tue d’autres Congolais, sous prétexte que ça ne va pas dans le pays, il y a un véritable problème. »
Bras de fer avec le pouvoir
La posture critique du cardinal Ambongo envers l’entourage du président Félix Tshisekedi n’est pas nouvelle. Depuis l’arrivée au pouvoir de l’ex-opposant, en 2019, il ne se prive pas de critiquer le parti présidentiel. Dans un message publié pour célébrer la fête de l’indépendance de la RD-Congo, le 30 juin 2020, l’archevêque de Kinshasa a sévèrement attaqué la coalition alors formée par le parti de Tshisekedi avec celui de l’ex-président Joseph Kabila .
« Cette coalition sait très bien comment elle avait foulé aux pieds la volonté du peuple pour en arriver là », avait-il alors rappelé, faisant ainsi allusion à la position affichée en 2019 par l’Église catholique qui, en se fondant sur les rapports de ses observateurs, remettait en cause les résultats des élections générales. Le cardinal Ambongo a enfoncé le clou en comparant le régime du président à « Jacob qui avait volé la bénédiction destinée à son frère aîné Esaü ».
Depuis, les relations ne se sont pas apaisées, au contraire. En 2021, un groupe de jeunes – proche du pouvoir selon plusieurs témoins – s’est présenté à l’archevêché de Kinshasa et à la résidence du cardinal Ambongo, scandant des chants et proposant des désobligeants et commettant des actes de dégradation. Ces incidents sont intervenus après que l’Église catholique a boudé les négociations en vue de la désignation du président de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) – qui incombe aux confessions religieuses.
Gouvernement
Le 1er avril 2024, la nomination de la première femme premier ministre en RD-Congo, Judith Tuluka Suminwa n’a pas été trouvée grâce aux yeux du cardinal. Ce dernier a déclaré le temps mis par le président après sa réélection en janvier pour désigner un premier ministre chargé de l’ancien gouvernement.
« Normalement, la composition du gouvernement ne devrait pas prendre beaucoup de temps », at-il fait remarquer avant de critiquer les traités entre acteurs politiques pour obtenir des postes. « Au Congo, le seul métier qui vaut la peine, c’est la politique, tout le monde veut se retrouver au gouvernement, au Parlement, autrement il n’a rien. Cette situation crée vraiment chez nous une inquiétude », s’est-il attristé.