(DOUALA) « En 2020, sur 100 migrants subsahariens, 63 n’ont pas quitté l’Afrique subsaharienne. Des données qui contredisent les représentations sur les migrations africaines, considérées à tort comme importantes et en hausse, principalement dirigées vers les pays riches ».
Tel est l’un des constats de chercheurs de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) qui ont récemment publié un dossier à la suite d’une série d’études portant sur la démographie africaine. Révélant que la population de l’Afrique subsaharienne augmente à un rythme de 2,7 % par an.
Cette migration intra-africaine est de ce fait considérée comme l’un des moteurs de la croissance démographique du continent. « Le continent représente à nouveau aujourd’hui 18 % de la population mondiale, soit le même poids qu’au XVIe siècle avant les chocs démographiques liés aux traités esclavagistes et à l’occupation coloniale », peut-on lire dans cet article.
« Plus la population est grande, plus la main d’œuvre est abondante. Cette main d’œuvre jeune bien canalisée est un tremplin pour le développement économique.
François Guebiu Tadjuidje, université de Garoua, Cameroun
Toutefois, les chercheurs justifient ce boom démographique notamment par l’augmentation de l’espérance de vie, résultat des progrès enregistrés dans la lutte contre certaines maladies comme le paludisme, la tuberculose et le VIH/Sida.
En effet, les traitements antirétroviraux, la disponibilité des traitements contre le paludisme et la tuberculose ont contribué à soutenir la croissance de la population africaine en particulier la fréquence associée à ces pathologies.
Au total, l’espérance de vie au sud du Sahara est estimée en 2023 à 61 ans, avec des variations, selon les régions, qui vont de 58 ans en Afrique de l’Ouest à 64 ans en Afrique de l’Est.
« Entre 2010 et 2050, le nombre absolu de personnes âgées devrait quadrupler en Afrique, passant de 56 à 215 millions, soit presque le même nombre qu’en Europe (241 millions) », relève Valérie Golaz, démographe de l’Institut national d’Afrique. ‘études démographiques au Laboratoire population et développement (LPED) et un des auteurs de ce dossier.
Défis
Mais « cette croissance intense présente des défis sans précédent en matière de planification urbaine. En effet, des populations particulièrement pauvres s’installent dans des quartiers informels, spontanés et non lotis, souvent privés d’accès aux services urbains de base », explique Stéphanie Dos Santos, démographe de l’IRD au LPED et coauteur du dossier.
Le sociologue Coffi Aholou, directeur du Centre d’excellence régional sur les villes durables en Afrique (CERViDA) de l’université de Lomé (Togo) renchérit en disant que « la planification, la gouvernance et la gestion de la ville africaine ne suivent pas cette fulgurante croissance urbaine. Il n’est donc pas étonnant que les villes africaines soient caractérisées par un déficit d’infrastructures de services essentiels ».
Cette perception est partagée par la démographe camerounaise Nadège Chouapi, enseignante-chercheure à l’Institut de formation et de recherche démographique (IFORD) basé à Yaoundé au Cameroun.
« Une augmentation significative de la population pourrait aggraver la pression sur les ressources naturelles, comme l’eau, la terre et l’énergie. Cela pourrait entraîner des pénuries et des conflits pour l’accès à ces ressources », analyse cette dernière qui n’a pas pris partie à ce dossier.
Pour sa part, François Guebiu Tadjuidje, sociologue et enseignant à l’université de Garoua dans le nord du Cameroun, voit dans cette augmentation de la population un risque d’intensification de la déforestation ainsi que de toute autre forme de destruction de la nature. Ce qui aggrave de facto les impacts du changement climatique, notamment en termes d’émissions de gaz à effet de serre et de pression sur les écosystèmes.
Atout
Pour autant, les chercheurs conviennent que la croissance de la démographie africaine peut être un atout pour le continent si ses dirigeants savent en tirer avantage.
« Elle offre des moyens et des conditions favorables aux transformations sociales et pourrait soutenir un marché du travail et une activité économique dynamique qui contribue à réduire la pauvreté », estime par exemple Bénédicte Gastineau, démographe en service à l’IRD et coauteur de ce dossier .
En effet, « plus la population est grande, plus la main d’œuvre est abondante. Cette main d’œuvre jeune bien canalisée est un tremplin pour le développement économique », éclaircit François Guebou Tadjuidje.
« Une population jeune et en âge de travailler peut stimuler la croissance économique si des investissements sont faits dans l’éducation, la santé et l’emploi et si des efforts de bonne gouvernance sont réalisés », complète Nadège Chouapi.
Cette dernière soutient qu’il faut pour cela cependant du rapport de dépendance démographique. Selon ses explications approfondies par SciDev.Net, il s’agit de ralentir la croissance démographique pour avoir plus de personnes en âge de travailler par rapport à la population à charge que sont les enfants et personnes âgées ; ce qui libérerait, à l’en croire, des ressources pour l’investissement et le développement.
40% de la population de moins de 15 ans
Cet aspect en lumière les serres d’Achille de cette démographie africaine tels que relevés par les auteurs de l’article. Car, il se trouve que 40 % de la population totale de l’Afrique aujourd’hui a moins de 15 ans…
En outre, malgré ces avancées, la mortalité reste élevée sur le continent. Si bien que dans certains pays comme le Niger, sur les 6 ou 7 enfants qui naissent d’une mère, seulement deux arrivent à l’âge adulte selon les chercheurs. Souvent à cause des nouvelles maladies comme le cancer, les maladies cardiovasculaires ou encore le diabète…
Des faits qui n’empêchent pas les chercheurs de conclure leur dossier en invitant les autres parties du monde à voir dans la forte démographie africaine un atout à exploiter. « Les autres continents devraient tirer profit du potentiel humain subsaharien et non y voir une menace. Ils pourront y nouer des partenariats gagnant-gagnant et y faire des investissements », affirme ainsi Marie-Laurence Flahaux du LPED dans un entretien avec SciDev.Net.