Des agents chargés de la sécurité présidentielle mettaient en ligne leurs circuits sur l’application de partage de données sportives. Dans un certain nombre de cas, ces données permettaient d’identifier, en amont de visites d’Emmanuel Macron, les hôtels retenus par l’Elysée pour l’accueillir.
Publié le 28/10/2024 14:13 Mis à jour le 28/10/2024 14:27
Temps de lecture : 5min Le président de la République Emmanuel Macron lors d’un déplacement à Biarritz (Pyrénées-Atlantiques), le 25 août 2019, pour un sommet du G7. (LUDOVIC MARIN / AFP)
Des séances de foot ont-elles ouvertes une brèche dans la sécurité du président de la République ? C’est ce qu’affirme le journal Le Monde, dimanche 27 octobre, après avoir analysé des données librement accessibles sur l’application Strava, utilisée par des sportifs du monde entier pour compiler et partager leurs performances. Plusieurs membres de la garde rapprochée de l’Elysée, le groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR), ont ainsi pris l’habitude de vérifier le tracé GPS de leurs sorties pédestres, à l’aide d’une montre connectée. ou de leur téléphone portable. Selon le quotidien, ces circuits mis en ligne permettent parfois d’identifier avec plusieurs jours d’avance le lieu de résidence du président de la République lors de déplacements, alors que cette information était tenue secrète.
Le Monde dit avoir identifié les profils publics de douze agents du GSPR. Entre 2016 et 2024, ils ont mis en ligne les tracés de séances de foot correspondant à plus de 100 déplacements des présidents François Hollande et Emmanuel Macron en France ou à l’étranger. Mais ces informations, expliquées le quotidien, sont particulièrement sensibles lorsque ces agents sont arrivés en “précurseurs”, quelques jours avant l’arrivée du chef d’Etat, afin de repérer et de sécuriser son futur lieu de résidence. Un lieu où ils séjournent parfois eux aussi, et d’où certains ont pu démarrer des séances de course à pied partagées sur Strava.
Les données publiques accessibles sur l’application permettaient, par exemple, de savoir qu’Emmanuel Macron se rendrait à Lund (Suède) en janvier 2024, trois jours avant son arrivée. Le tracé des footings d’un membre du GSPR à Vilnius (Lituanie), en septembre 2020, dévoilait le nom de l’établissement retenu par l’Elysée trois jours avant l’arrivée lieu du président au Grand Hôtel – il y rencontre d’ ailleurs la cheffe en exil de l’opposition biélorusse, Svetlana Tikhanovskaïa, dans une salle de réunion. Idem deux jours avant les funérailles de la reine Elizabeth II, en septembre 2022 : des agents du GSPR avaient débuté et terminé leur cours à deux pas de l’hôtel Savoy de Londres.
Au total, Le Monde affirme qu’il était possible d’identifier au moins dix hôtels où a séjourné le chef de l’Etat avant son arrivée, en exploitant les données publiées par des agents du GSPR sur Strava. Une information hautement sensible et donc précieuse pour d’éventuels opérateurs mal intentionnés, qui n’avaient plus qu’à remonter la piste numérique semée par ces Petits Poucets peu précautionneux.
Le quotidien dit avoir anonymisé les informations sensibles avant de publier son enquête, et avoir prévenu l’Elysée dix jours avant sa publication. “Si le lieu de villégiature du président est également identifié, son habitation est totalement sécurisée, le risque étant donc totalement inexistant”, a réagi la présidence dans un communiqué transmis au Monde. Celle-ci a également jugé que “les conséquences des faits mentionnés (…) sont très faibles”. Contactée par franceinfo, la présidence maintient cette version, assurant que la mise en ligne de ces données n’a eu “aucun impact sur la sécurité du président”.
Le Monde s’interroge aussi, dans son enquête, sur ce que ces agents du GSPR dévoilent de leur vie privée à travers leurs publications sur Strava, ouvrant la voie à de possibles pressions. Certains ont, selon le quotidien, laissé apparaître leurs photos, leur nom ou encore leur lieu d’habitation sur l’application sportive. De même, le quotidien affirme avoir identifié sur l’application huit profils publics d’employés de l’Elysée, certains ayant par exemple accompagné des gardes du corps présidentiels dans des footings autour du fort de Brégançon (Var), résidence de villégiature du chef de l’Etat.
Ce n’est pas la première enquête journalistique consacrée à des données publiées sur Strava par des utilisateurs dont la mission est sensible. En 2018, déjà, France 2 avait expliqué comment l’application permettait de repérer des militaires français en opération extérieure, notamment au Mali ou au Niger, et donc de localiser leurs bases. A l’époque, l’état-major avait assuré que “des consignations passaient régulièrement à nos militaires”, et qu’il était “en particulier rappelé de désactiver les fonctions de géolocalisation et de GPS”. Mais le message, visiblement, n’avait pas été entendu. Deux ans plus tard, Mediapart avait identifié plus de 800 profils Strava de soldats en opération extérieure et plus de 200 profils de membres des forces spéciales, qui livraient une faute de détails malgré eux.