Le ralliement français à la position marocaine sur le dossier du Sahara, le 30 juillet dernier, lors de la célébration du 25e anniversaire de l’accession du roi Mohammed VI au trône, une date à forte teneur symbolique pour le Maroc et les Marocains, a a été perçu comme un virage par de nombreux observateurs, aussi bien sur le plan diplomatique qu’économique. Cette décision française, fortement applaudie par Rabat, rebat les cartes géopolitiques au sud de la Méditerranée.
Au-delà de cette annonce historique, les deux chefs d’État se sont donnés rendez-vous au royaume chérifien du 28 au 30 octobre. Alors que les préparatifs avancent à un rythme soutenu des deux côtés, avec une mobilisation exceptionnelle des équipes diplomatiques, logistiques et protocolaires, cet événement inédit promet de changer les rapports de force sur le continent.
Pour comprendre davantage les enjeux économiques de cette visite, l’économiste Alexandre Kateb, président de The Multipolarity Report et fondateur de Multipolarity AI, analyse les relations franco-marocaines à la lumière du 25e anniversaire du règne de Mohammed VI, les défis stratégiques que le Le président Macron pourrait sortir au cours de sa visite.
Le Point Afrique : Le 25e anniversaire du règne de Mohammed VI, célébré le 30 juillet dernier, offre l’occasion de dresser un bilan. Comment évaluez-vous l’évolution des relations franco-marocaines sur cette période ?
Alexandre Kateb : Je pense que les relations franco-marocaines ont toujours revêtu une importance stratégique pour les deux pays, en raison de leur histoire commune, de leurs échanges économiques et de leur position géostratégique. Depuis l’accession au trône du roi Mohammed VI, les années 2000 ont été marquées par un rapprochement significatif, coïncidant avec une période de profondes transformations économiques et institutionnelles pour le Maroc.
Ce rapprochement s’est renforcé avec les réformes institutionnelles mises en œuvre à partir de 2011 avec la révision de la Constitution. Cependant, entre 2019 et 2023, un certain refroidissement a été observé dans ces relations. Mais, aujourd’hui, une volonté claire de dépasser cette période se manifeste. Ce désir de relancer les liens a été exprimé tant par le roi Mohammed VI que par le président Macron, à travers plusieurs initiatives récentes, notamment la visite d’importantes délégations françaises au Maroc et vice versa.
La visite du président français vient ainsi sceller ce réchauffement des relations, avec l’ambition de recréer un partenariat d’exception, comme à l’époque du président Jacques Chirac. L’objectif est de rétablir ce partenariat stratégique qui a toujours persisté en toile de fond, malgré les crises. Cette relance se traduit par des actions concrètes sur les plans politique, diplomatique et économique.
Quels sont les principaux enjeux économiques et stratégiques de cette visite de Macron à Rabat ?
Cette visite marque une nouvelle impulsion dans le partenariat entre le Maroc et la France, soulignant la volonté de renforcer les liens économiques et stratégiques entre les deux pays. Les entreprises françaises, particulièrement intéressées par le développement de leurs activités au Maroc, notamment dans les secteurs des infrastructures portuaires, routières, de la gestion environnementale, des énergies renouvelables et de la transition numérique, ont déjà un rôle clé. Ce rôle pourrait s’amplifier dans les années à venir.
En parallèle, des opportunités se dessinent dans d’autres secteurs, comme l’agriculture, notamment en réponse à la crise en Ukraine. Le Maroc, grand importateur de blé, a récemment intensifié ses achats de blé français et européen. Cela ouvre la voie à un partenariat stratégique capable de valoriser et de renforcer les différentes filières agricoles, avec un potentiel de développement, notamment dans la production céréalière, afin d’accompagner l’agriculture marocaine vers une plus grande productivité dans un contexte de changement climatique. .
Sur le plan numérique, l’intégration des start-up marocaines dans l’écosystème technologique français et européen, déjà initiée à travers divers programmes, pourrait être amplifiée et simplifiée. Un effort supplémentaire pourrait être fait pour surmonter les obstacles bureaucratiques, en rendant ces programmes plus accessibles aux jeunes entrepreneurs marocains, notamment dans les secteurs de l’économie numérique et des industries créatives et culturelles. L’expertise française, en parfaite harmonie avec l’héritage et la créativité marocaines, ouvre des perspectives prometteuses pour renforcer cette coopération.
Quels domaines de coopération devraient être renforcés dans le cadre de cette nouvelle feuille de route ?
Les dimensions qui sont renforcées aujourd’hui correspondent à des axes forts de cette relation, avec un partenariat économique et financier en pleine expansion, et un rapprochement militaire de plus en plus marqué. Ce dernier se traduit notamment par des commandes d’armement que le Maroc envisage de passer auprès de la France, un sujet central de cette visite.
Un rapprochement militaire de plus en plus marqué
Face à la décision de la justice européenne d’annuler les accords de pêche et d’agriculture, pensez-vous que ce rapprochement franco-marocain peut permettre de rouvrir le dialogue sur ce dossier ?
Certainement. Toutes les initiatives visant à jouer un rôle de médiation sur ces questions sont essentielles, même si ce dossier est principalement géré à l’échelle européenne. Cela dit, les États membres peuvent contribuer activement à la recherche de solutions et à l’évolution des partenariats existants. Tout dépendra de l’évolution du contexte géopolitique. La reprise des négociations est la seule solution pour désamorcer les tensions, bâtir sur des bases solides et répondre aux critiques et oppositions qui surgissent régulièrement. Ce dossier en est un parfait exemple.
L’intégration panafricaine est un des piliers de la stratégie économique du royaume. Quels rôles la France et l’Union européenne pourraient-elles jouer pour accompagner cette ambition ?
La France et l’UE ont un rôle clé à jouer en soutenant et en renforçant cette dynamique, en investissant au Maroc et en s’engageant dans des investissements entreprises croisées avec des marocaines dans divers pays africains, en partenariat avec des investisseurs français et européens . Il s’agit maintenant de capitaliser sur cette dynamique existante et de la soutenir par des initiatives concrètes.
Un exemple phare est Casablanca Finance City, véritable hub d’investissement et de gestion des flux financiers, doté d’un écosystème orienté vers l’Afrique. Cette plateforme peut servir de passerelle, dans le cadre des relations avec la France et l’UE, vers d’autres marchés africains.
D’autres initiatives pourraient également voir le jour. J’ai proposé, depuis quelque temps, des projets autour de la blockchain et des technologies numériques pour construire des autoroutes d’informations dans le secteur financier entre pays africains. Ce type de projets renforcerait la dimension transcontinentale du partenariat que le Maroc cherche à développer.
Le Maroc, pilier de la gestion des flux migratoires en Méditerranée, peut-il continuer à assumer ce rôle face aux tensions croissantes au Sahel ?
Le Maroc a déjà beaucoup fait sur cette question en assumant une grande partie de la charge financière et humaine, tout en tenant compte de l’aspect humanitaire. Il est essentiel de rappeler que les migrants subsahariens ne peuvent pas être réduits à de simples statistiques. Du côté marocain, des efforts considérables ont été faits pour intégrer ceux qui souhaitent rester, en leur offrant des conditions de vie dignes, ainsi que pour faciliter le départ de ceux qui aspirent à d’autres horizons.
En revanche, la politique européenne est encore en cours de structuration. Il est désormais crucial de bâtir un cadre de coopération transrégionale entre l’Europe, les pays des façades méditerranéennes et atlantiques ainsi que les nations du Sahel afin de répondre à cet enjeu de manière plus coordonnée et humaine. En parallèle, le Maroc doit réussir à naviguer dans le contexte géopolitique tendu, notamment vis-à-vis de son voisin algérien. Une grande partie de l’avenir de la région, allant de l’Afrique du Nord à l’Afrique de l’Ouest, y compris le Sahel, dépendra des solutions permettant d’apaiser ces tensions et de favoriser une véritable intégration régionale, notamment entre le Maroc et l’Algérie, afin de sortir de cette confrontation délétère.
N’est-ce pas justement l’objectif de l’initiative atlantique récemment lancée par le roi Mohammed VI ?
Oui, l’initiative atlantique s’inscrit pleinement dans cette volonté de surmonter les tensions sous-régionales et de promouvoir une intégration continentale. Elle offre aux pays du Sahel l’opportunité d’accéder à cette ouverture atlantique que possède le Maroc.
Face aux défis comme le cloisonnement de ces pays et le manque d’accès à la mer, cette initiative pourrait justement agir comme un puissant levier de croissance économique pour les pays qui en bénéficieront en attirant les investisseurs étrangers. Ces derniers ne vont pas forcément s’intéresser à un pays en particulier mais ils vont adhérer à cette dynamique régionale pour tirer profit des économies d’échelle et de l’effet de masse généré par cette coopération.
La diplomatie marocaine tend à s’aligner sur les positions du « Sud global ».
Dans le cadre de cette initiative, n’est-il pas temps de passer à la vitesse supérieure et d’accélérer le développement de son industrie maritime ?
Absolument. Je suis convaincu que le Maroc va de plus en plus se tourner vers sa vocation maritime, avec l’ambition de devenir une puissance maritime à part entière. C’est un objectif parfaitement en phase avec sa position géographique stratégique et son rôle diplomatique, minutieusement développé au cours des 25 dernières années.
Dans votre analyse pour le Carnegie Endowment for International Peace, vous mettez en avant la stratégie du Maroc de ne pas s’aligner sur un seul bloc géopolitique. Cette position influence-t-elle les relations du Maroc avec ses partenaires européens ?
À Découvrir Le Kangourou du jour Répondre Cette position reflète l’ADN historique du Maroc depuis son indépendance, enraciné dans l’héritage du mouvement des non-alignés. Ce choix n’a jamais empêché le Maroc de tisser des liens solides avec des puissances comme les États-Unis, l’Union européenne, la France ou l’Espagne, avec lesquels il existe une véritable logique de coopération pour des raisons bien établies.
Sur la scène internationale, la diplomatie marocaine tend à s’aligner sur les positions du « Sud global », que ce soit pour défendre des réformes monétaires et financières internationales plus inclusives, offrant davantage de voix aux pays émergents et en développement, ou sur des crises majeures comme le conflit israélo-palestinien. Dans d’autres cas, comme le conflit russo-ukrainien, le Maroc a adopté une approche prudente, cherchant à maintenir une certaine neutralité. De fait, cette volonté de ne pas s’aligner exclusivement sur un camp reflète une cohérence de la diplomatie chérifienne.