Ils ne portent ni fusils ni treillis militaires. Ils ne sont ni soldats, ni politiciens. Leur seule arme, c’est l’élégance. Eux, ce sont les Sapeurs de Kinshasa, membres de la Société des Ambianceurs et des Personnes Élégantes (Sape). À l’occasion du 30? anniversaire du décès de Stervos Niarcos, figure légendaire de ce mouvement, ces kinois ont rendu un hommage flamboyant à leur maître tout en affichant un soutien appuyé aux Forces Armées de la RDC (FARDC) et aux Wazalendo, ces patriotes engagés dans la défense du territoire national contre les terroristes du M23 dans l’Est du pays.
Le 10 février, comme chaque année, les environs du cimetière de la Gombe au niveau du Boulevard du 30 juin ont vibré sous le claquement des semelles en cuir et l’éclat des tissus raffinés. « Kofinga te, lata nde» (NDLR: Pas d’injures, habillez-vous !) C’est avec ce slogan qu’ils ont entamé leur procession, une démonstration où l’élégance devient un outil de revendication pacifique.
À quelques mètres du cimetière de la Gombe, où repose Stervos Niarcos, une trentaine de sapeurs venus des quatre coins de la capitale a défilé dans une explosion de couleurs et d’élégance. Vestes en cuir, blousons, costumes taillés sur mesure, chaussures italiennes ou françaises, chapeaux stylés et lunettes de soleil de marque : chaque détail était soigneusement choisi pour honorer l’homme qui, il y a trois décennies, faisait de la sape une véritable religion, la “Religion Kitendi”.
Si la Sape a toujours été synonyme de raffinement et de panache, cette édition a pris une dimension plus engagée. Face à l’insécurité persistante dans l’Est, les adaptes de la religion Kitendi (NDLR: sapeurs) ont tenu à exprimer leur colère contre l’agression rwandaise sous couvert du M23.
« Ici, nous ne sommes pas là pour faire de la comédie. Nous soutenons nos frères et sœurs de l’Est et nos militaires qui défendent la patrie. Nous aussi, à travers nos habits, nous allons nous engager dans cette lutte. Paul Kagame va nous croiser sur son chemin ! » s’exclame Matadi le Japonais, un Sapeur reconnu pour ses tenues excentriques et sa casquette large.
Plus qu’un simple hommage à Niarkos, cette 30ème édition de la Journée Internationale de la Sape s’est transformée en une manifestation patriotique.
« Nous refusons d’utiliser les armes, mais avec nos costumes, nous irons jusqu’au Rwanda pour arrêter Kagame et l’amener ici à Kinshasa ! Ce meurtrier tue nos frères et sœurs », martèle un autre Sapeur, déterminé à faire entendre sa voix par le style plutôt que par la violence.
Quand la mode devient un cri de ralliement
La Sape est plus qu’une simple question d’apparence : elle est un langage, un mode d’expression, une identité. Et désormais, elle devient un cri de ralliement contre l’injustice.
« Nos armes, ce sont nos griffes de marque. Nos tenues en disent long sur notre engagement. Tant que nos soldats seront au front, nous serons aussi en première ligne avec nos vêtements ! », clame un Sapeur en brandissant fièrement sa veste en cuir italien.
La sape, un front culturel engagé
Si les diplomates comme Thérèse Kayikwamba militent pour des sanctions contre le Rwanda, si les politiques comme Mutamba et Mbemba se battent sur le plan judiciaire, si l’armée FARDC mène le combat sur le terrain et si Patrick Muyaya contre-attaque sur le front médiatique, les sapeurs de Kinshasa ont choisi, eux, d’entrer dans la lutte à travers l’élégance et le style.
« Nos frères sont au front, nous aussi nous sommes engagés. Nous n’avons pas d’armes, mais nous avons la sape ! », déclare fièrement un participant.
Stervos Niarkos, de son vrai nom Adrien Mombele Samba Ngantshie, fut un artiste musicien des années 70 et l’un des précurseurs du mouvement SAPE. Ami de Papa Wemba et de Bozi Boziana, il s’était illustré par son goût immodéré pour les marques de luxe et avait imposé la Sape comme un véritable art de vivre congolais.Parmi ses titres phares, on retrouve “Dernier coup de sifflet”, “Champs Élysées”, “Kouroubio” et “Bateke”.
Son décès, le 10 février 1995 à l’hôpital de la Salpêtrière en France, alors qu’il était détenu à la prison de Fresnes pour une affaire de drogue, reste une page sombre de l’histoire de la SAPE. Mais son influence perdure.
Christian-Timothée MAMPUYA/FA