A Kinshasa, en République démocratique du Congo, lors de la Journée mondiale de lutte contre le VIH, le 1er décembre 2005. JIRO OSE / REUTERS
Dans la salle des soins intensifs du centre de Médecins sans frontières (MSF), installé au sein de l’hôpital public de Kabinda, à Kinshasa, un médecin s’attarde auprès des patients affectés par le VIH très amaigris. « Ces personnes arrivent dans un état critique, explique en baissant la voix Gisèle Mucunya, la coordinatrice responsable médicale du centre. Ce sont des malades qui s’ignoraient. Pour certains, il est trop tard. »
Dans la moiteur de la saison des pluies atténuée par un ventilateur, des hommes, des femmes, une adolescente, un bébé sous perfusion dans les yeux qui se lit l’épuisement. « Un tiers d’entre eux mourront alors qu’ils auraient pu être sauvés », souligne amèrement la docteure Mucunya.
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Pourtant, le nombre des nouvelles contaminations en République démocratique du Congo (RDC) a chuté de 58 % depuis 2010 et les décès de 72 %, selon l’Onusida, dont la dernière évaluation datant de 2022 a révélé un taux de prévalence faible (nombre de personnes vivantes avec le VIH) de 0,6 % pour 103 millions d’habitants. Enfin, depuis 2018, 83 % des personnes connaissent leur statut sérologique et 82 % des malades sont sous traitement antirétroviral (ARV).
En revanche, l’évaluation de l’agence des Nations unies faite en 2022 ne donne aucun chiffre concernant les malades sous ARV dont la charge virale est indétectable, quand le Programme national de lutte contre le sida (PNLS) dépendant du ministère de la santé publique fait valoir pour 2023 un taux de 34 %. « Cela constitue encore un défi à relever », reconnaît son président, le docteur Aimé Mboyo. Un flou dans les données qui illustrent la situation contrastée qui prévaut en RDC sur la question du sida.
Populations cibles et « perdues de vue »
Malgré « des avancées considérables, des lacunes persistantes sur les tests de dépistage, de suivi de la charge virale et parfois de traitements. Les ruptures d’approvisionnement existent », explique Lara de Jacquier, responsable du centre MSF de Kabinda. L’ONG, qui a ouvert son premier site de Kinshasa en 2002, apporte son soutien aux autorités congolaises pour améliorer la prise en charge des malades sur tout le territoire. « Pour nous, conclut la cheffe de projet, l’épidémie est clairement sous-évaluée. »
Le suivi de la charge virale est crucial pour déterminer la gravité de l’infection, mais aussi pour l’efficacité des traitements et débusquer le virus lorsque les tests peuvent se révéler négatifs en tout début d’infection. « Pouvoir vérifier que sa charge virale diminue permet aussi aux malades de ne pas se décourager, car on parle d’un traitement à vie, explique Gisèle Mucunya, de MSF. Certains de ceux qui arrivent ici au seuil de la mort avaient interrompu leur traitement plusieurs fois et le virus a repris le terrain perdu. On les appelle les « perdus de vue ». »
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La baisse constante du taux de prévalence a amené l’Etat congolais à cesser le dépistage généralisé pour se concentrer sur les populations les plus à risques, dont le taux a atteint jusqu’à 7,7 % : travailleuses du sexe, utilisatrices de drogues injectables , hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, personnes tuberculeuses, femmes enceintes et allaitantes.
« C’est le moteur de l’épidémie et c’est donc là que porte notre effort, explique le docteur Aimé Mboyo, du PNLS. Depuis dix ans, nous sommes considérés comme un pays à basse prévalence bien que, du fait de notre forte démographie, le nombre de personnes vivantes avec le VIH s’élève à environ 500 000. »
« Nos partenaires ne peuvent pas tout »
« Le fait que la prévention et le dépistage se limitent à ces cibles est un véritable problème, analyse Ange Mavula, qui dirige l’Union congolaise des organisations des personnes vivantes avec le VIH (UCOP+). L’État est à 95 % dépendant de l’appui financier du Fonds mondial et de l’agence américaine Pepfar qui ont leur propre agenda. C’est légitime, mais qu’en est-il, par exemple, des hommes hétérosexuels qui fréquentent les prostituées et ont une vie de couple ? C’est un point aveugle de notre stratégie. En RDC, si vous n’entrez pas dans la case « population cible », je vous mets au défi de trouver un test de dépistage gratuit. »
La maladie produit encore beaucoup de rejet social. Le secret est souvent de mise. Les hommes, « généralement plus éloignés de l’univers du soin », poursuit Ange Mavula, sont moins sollicités à se faire tester : « Nos partenaires ne peuvent pas tout. Nous menons des actions de plaidoyer auprès du gouvernement pour qu’il mette la main à la poche, mais il faut se battre à chaque fois. Ce n’est pas une gestion pérenne. »
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L’Observatoire de l’accès et de la qualité des services VIH et tuberculose, créé par l’UCOP+, a également identifié neuf provinces (Kwango, Kwilu, Mai-Ndombe, Mongala, Sud-Ubangi, Nord-Ubangi, Sankuru, Equateur et Lomami) qui ne bénéficie d’aucun programme de prévention, de dépistage ni de suivi de charge virale car le taux de prévalence y est jugé « trop » bas. « Nous les appelons les provinces orphelines, indique Ange Mavula. Seuls les traitements ARV y sont acheminés. Comment avoir une planification nationale pertinente quand il y a tant de lacunes ? »
« La honte est encore très puissante »
Pour sortir du flou, Pepfar a missionné le Centre international pour les programmes de soins et de traitement du VIH (ICAP) de Lubumbashi, la grande ville du sud-est, afin de réaliser une étude d’impact sur la santé publique (PHIA) dans les provinces du Haut-Katanga, de Lualaba et de Kinshasa sur les vingt-six que comptent le pays.
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Son ambition est d’évaluer l’état de l’épidémie et l’efficacité des programmes existants par des enquêtes transversales et les résultats seront extrapolés de manière statistique à tout le territoire. « La honte liée au sida est encore très puissante, explique Stéphania Koblavi, directrice de l’ICAP qui a déjà mené l’étude PHIA en Côte d’Ivoire et au Cameroun. Il n’est pas rare que certains malades, même sous ARV, mentent sur leur statut sérologique, malgré la garantie de l’anonymat. Cela peut fausser les chiffres dans un sens comme dans l’autre. Pour lever ce doute, nous mesurons la charge virale ainsi que la présence de molécules d’ARV dans le sang. »
Ce tabou, qui peut favoriser une reprise épidémique, est problématique pour les couples, quand il s’agit de convaincre la personne séropositive de parler à son ou ses partenaires et qu’ils acceptent d’être dépistés. MSF a d’ailleurs développé un programme pour faciliter cette annonce au sein des familles.
« Photographie fidèle à la réalité du terrain »
L’enquête PHIA proposera également un dépistage sur la base du volontariat à 30 000 ménages également en ville qu’en zone rurale. « Cette étude en population « réelle », hors des hôpitaux pour éviter un biais statistique, précise Stéphania Koblavi, permettra d’obtenir une photographie vraiment fidèle à la réalité du terrain. »
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Dans cette équation à plusieurs inconnues figure la situation sécuritaire dans l’est du pays, qui ne cesse de se dégrader depuis fin 2021 et complique, voire interrompt, la prise en charge des malades. Les attaques des groupes armés, souvent accompagnées de violences sexuelles, ont conduit au déplacement plus de 7 millions de personnes.
Conscient de la nécessité d’actualiser des données sanitaires globales vieilles de dix ans, le ministère au plan a de son côté réalisé en 2023 une étude démographique et de santé portant sur un échantillon de 26 520 ménages sur tout le territoire – et concernant diverses maladies en plus du VIH. Les résultats, qui seront connus d’ici à la fin de l’année, permettront, selon les mots de la ministre de l’époque, Judith Suminwa Tuluka – devenue première ministre en avril –, « d’apprécier les véritables progrès réalisés et d’identifier les défis à relever ». Une déclaration qui peut s’entendre comme un aveu.
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