Comment protéger les animaux contre la furie des hommes ? C’est la bataille que mène le Congolais Bantu Lukambo pour sauvegarder les animaux sauvages dans le Parc national des Virunga, à l’Est de la République démocratique du Congo. Hier à Londres, ce militant environnementaliste de 51 ans a reçu le prix prestigieux du Fonds International pour la Protection des Animaux, le prix IFAW. En ligne de la capitale britannique, il raconte son combat au micro de Christophe. Boisbouvier.
RFI : Bantu Lukambo, vous êtes né dans un village de pêcheurs au cœur du parc des Virunga, pourquoi vous êtes-vous engagé très jeune dans ce combat pour la défense des animaux ?
Bantu Lukambo : En fait, il y avait du désordre, il y avait du braconnage, il y avait tout. Alors mon papa était pêcheur et papa surtout faisait allusion aux hippopotames. Il nous disait que c’est grâce aux hippopotames qu’il ya des poissons.
Et pourquoi est-ce grâce aux hippopotames qu’il ya du poisson ?
En fait, avec la maison des hippopotames, les poissons trouvent de quoi manger. Il ne fallait donc pas décimer les écosystèmes. En les décimant, on serait, nous aussi, candidats à la mort.
Est-ce que, dans votre village, les gens se moquaient de votre papa et de vous en vous disant que vous feriez mieux de défendre les humains que les animaux ?
Oui, oui, oui ! Même aujourd’hui, il y a des moments où on nous dit cela. Parfois, il y a ceux-là qui nous comparent à des fous. Ils disent, non, les gens sont en train de mourir, mais vous, vous défendez les animaux ! Bon, petit à petit, nous arrivons à convaincre les autres, puisque aujourd’hui, au moins 75% des communautés ont compris que nous avons l’obligation de protéger les écosystèmes, puisque sans les écosystèmes, on ne peut pas vivre.
Alors, vous dites qu’au village, aujourd’hui, les gens comprennent mieux le sens de votre combat, mais ça ne les empêche pas de continuer à chasser ces animaux, non ?
Bon, en fait, ceux qui tirent les animaux ne sont pas les communautés locales. Ce sont les groupes armés. Parce que tu vois, la plupart des groupes armés, ils se servent des animaux, les abattent pour avoir de quoi acheter les munitions, les uniformes et à manger. Mais les communautés, vraiment, non ! Et si nous réussissons le combat sur le terrain, c’est grâce à ces communautés-là.
Et quand vous parlez des groupes armés, il s’agit de qui ?
Il s’agit du M 23 par exemple, il ya les Wazalendos, il ya même les militaires de nos forces armées : les FARDC (NDLR : Les Forces armées de la République démocratique du Congo) qui abattent les animaux. C’est pourquoi j’ai dit : les porteurs d’armes.
Alors, face à ces porteurs d’armes, il y a quand même les écogardes, qu’est-ce-que ceux-ci peuvent faire pour protéger le parc ?
Bon, ces gens-là, vraiment, sont dans des difficultés totales, comme nous les défenseurs de l’environnement. Ils sont malmenés par les M 23, aussi par les FARDC. Aussi par les groupes Maï Maï, les Wazalendos-là. C’est pourquoi, aujourd’hui, le trafic illicite est vraiment visible, surtout à la frontière entre le Congo et l’Ouganda. C’est facilité par ces porteurs d’armes.
Et quels sont les animaux qu’ils abattent ?
Les éléphants pour leur ivoire, les hippopotames pour la viande et les gorilles pour leurs bébés.
Pour les revendre à des trafiquants ?
Oui, pour avoir un bébé gorille, il faut décimer soit la famille toute entière, soit bien la moitié de la famille. D’ailleurs, récemment, nous avons écrit une lettre aux trois présidents du Rwanda, de l’Ouganda et du Congo, pour qu’ils puissent voir comment plaider pour cet espace et le laisser aux écogardes du Congo, du Rwanda et de l’ Ouganda. Jusque-là, nous n’avons pas eu des réponses. Mais pour le moment, les gorilles sont en difficulté puisque la zone est occupée par les militaires du M 23.
Donc votre combat, c’est aussi pour que les montagnes des Virunga deviennent une zone démilitarisée ?
Oui ! Nous voulons vraiment que la zone où habitent les gorilles de la partie congolaise, la partie rwandaise et la partie ougandaise soit une zone neutre. Pas de guerre. Qu’on la laisse entre les mains des écogardes de ces trois pays.
Une zone sans guerre ? Une zone sans guerre ? Une zone démilitarisée ?
Oui. C’est ça notre combat !
Alors, il y a les groupes armés, il y a les trafiquants, est-ce qu’il n’y a pas aussi la surpopulation qui menace le Parc national des Virunga ?
Bon, au Congo, nous n’avons pas un problème de l’explosion démographique, surtout que nous avons beaucoup de terres qui sont vacantes. Mais, aujourd’hui, avec la présence des rescapés qui fuyaient les zones sous contrôle rebelle, ils ont quand même essayé de détruire une grande partie du Parc national des Virunga à la recherche du bois de chauffe. Bon, c’est ça !
Oui, il y a quand même des villageois qui s’installent dans le Parc des Virunga pour défricher, pour cultiver la terre ou pour chercher du bois de chauffe ?
Oui, oui, ça, c’est vrai. Il y a une fête qui est vraiment polluée et ça, c’est avec la bénédiction des groupes armés encore.
Et comment empêcher les populations de s’installer dans ce parc ?
Pour le moment, avec la guerre, ce n’est pas facile. Puisque tu vois, lorsque vous arrivez à Goma, vous pouvez pleurer. La population est, je peux dire, abandonnée. Les rescapés sont presque abandonnés et c’est ce qui pousse une partie des rescapés à aller dans le parc pour se débrouiller. Pour chercher comment trouver les bois de chauffe. Mais aussi, il y a une partie qui est détruite par nos militaires, qui ont placé des tronçonneuses pour fabriquer des planches là-bas.
Des planches de bois ?
Oui.
Pour la construction des maisons, c’est ça ?
Oui.
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