Publié le 23 juillet 2022 Conférence : 4 minutes.
The Rumble in the jungle, c’est la rencontre de trois poids lourds. Ce 30 octobre 1974, au stade du 20-Mai de Kinshasa, deux s’affrontent sur un ring, quand le troisième suit leur combat depuis la salle de presse. Cet homme blanc à la chevelure grise qui ne perd pas une seconde du match adversaire George Foreman à Mohamed Ali, c’est l’écrivain Norman Mailer.
À l’époque, il est sans doute le plus célèbre des auteurs américains depuis la mort de son maître, Ernest Hemingway, en juillet 1961. S’il se trouve là, envoyé par Playboy dans la chaleur étouffante du Zaïre de Mobutu, c’ est certes par passion sincère pour la trajectoire de celui qui est né Cassius Marcellus Clay en 1942, mais aussi parce qu’on lui a proposé un petit cachet d’un million de dollars pour tirer un livre de ce qui sera l’un des matchs du siècle.
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« Aucun Vietnamien ne m’a jamais traité de nègre »
Cet ouvrage, sommet du « nouveau journalisme », paraît en 1975 sous le titre The Fight. Considéré aujourd’hui comme l’un des meilleurs essais sur la boxe, il vient d’être réédité par les éditions Taschen dans une version abrégée illustrée par les photographies de Neil Leifer et Howard l. Bingham. Une version de 2,5 kilos et 260 pages accessible pour la somme de 80 euros. Un prix modeste si on le compare à la version collector du livre, disponible pour plus de 2 000 euros.
Ali interrompt l’entraînement pour voir sa mère, Odessa Clay, et son père, Cassius Marcellus Clay Sr. © Neil Leifer/Sports illustrés
Quoi qu’il en soit, lire ou feuilleter cet ouvrage, c’est vivre le combat de l’intérieur, mais c’est aussi aller bien au-delà : replonger dans l’Amérique des années 1970, redécouvrir le Zaïre de Mobutu, rencontrez des personnalités aussi sulfureuses que le promoteur Don King (90 ans aujourd’hui)… La première rencontre entre Mohamed Ali et Norman Mailer date de 1965, à San Juan (Porto Rico) : les deux hommes ont été photographiés en plein bras de fer à l’hôtel Hilton ! Séduit autant que fasciné, Mailer suit la carrière du champion à la fin des années 1960, écrivant notamment sur la défaite de 1971 face à « Smokin’ Joe » Frazier (« King of the Hill », Life). Entre 1967 et 1971, Ali a été privé de combats pour avoir refusé symboliquement l’incorporation dans un centre de recrutement, avec ces mots restés célèbres : « Aucun Vietnamien ne m’a jamais traité de nègre. »
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Bien avant le fameux combat de Kinshasa, Mailer est à Deer Lake, en Pennsylvanie, où il peut suivre la préparation d’Ali avec son entraîneur adjoint, Drew Bundini Brown et ses sparring Partners. Puis l’écrivain s’envole pour le Zaïre. Ali se prépare à Nsele quand, blessé à l’entraînement, George Foreman demande un rapport du match. Mailer part pour les États-Unis, mais il est de retour un mois plus tard, à l’hôtel Inter-Continental, où loge une grande partie de l’entourage de Foreman.
Controverse
The Fight est un texte narcissique et ambitieux qui entremêle portraits, anecdotes, considérations politiques et, bien entendu, description précise du combat. Avec une agilité étonnante, Mailer peut passer d’une analyse sévère du mobutisme à la recension distanciée de la course matinale qu’il tente de faire aux côtés d’Ali après une soirée un peu trop arrosée – avant d’abandonner, malgré les encouragements du boxeur. The Fight, c’est aussi pour Norman Mailer une nouvelle occasion d’explorer la question raciale, d’interroger son propre rapport au monde noir, voire même d’essayer de considérer Foreman et Ali d’un point de vue africain. « Les humains ne sont pas des êtres, ce sont des forces », écrit-il. Un livre l’a particulièrement influencé : La philosophie bantoue (1959), du missionnaire franciscain belge Placide Frans Tempels.
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S’il sera parfois controversé pour ses analyses raciales, le double prix Pulitzer (en 1969 pour Les Armées de la nuit et en 1980 pour Le chant du bourreau) est d’une certaine manière sauvé par son égocentrisme – s’il se tient en haute estime, il ne s’épargne pas non plus – et par son regard somme toute distance. « Oui, la folie était fertile en Afrique, et dans cette folie de l’Afrique, deux combattants allaient recevoir chacun 5 millions de dollars tandis qu’à un millier de kilomètres sur la rive de la famine mondiale des Noirs allaient mourir de faim, deux combattants allaient gagner plus de 100 000 dollars par minute si le combat durait la totalité de ses 45 minutes et encore plus par minute s’il durait moins. »
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Superbement illustrée, cette nouvelle édition de The Fight complète le texte avec un ensemble de photos plus ou moins connues consacrées au combat, mais aussi à tout ce qui se déroule en dehors du ring, dans l’intimité des boxeurs comme face à la meute médiatique . La présence autoritaire et charismatique de Mobutu Sesse Seko apparaît ainsi aussi bien sur les photographies que sur les pancartes géantes qui proclament : « Le combat entre Foreman et Ali n’est pas une bataille entre deux ennemis mais un sport entre deux frères » ; « Merci citoyen président Mobutu Pace que grâce à ce combat de boxe Kinshasa deviendra pour un moment la capitale du monde entier » ; « Ce match du siècle est un cadeau du citoyen-président Mobutu Sese Seko au peuple zaïrois. »
« Le Combat », de Norman Mailer. © Éditions Taschen
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The Fight, par Norman Mailer, avec des photos de Neil Leifer et Howard L. Bingham,Taschen, 260 pages, 80 euros.
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