Le soleil se couche sur Kinshasa, mais jamais sur les travaux du stade des Martyrs de la Pentecôte. Là-bas, le béton ne sèche pas, il médite. Les ouvriers ne construisent pas, ils contemplent. Ici, les travaux ne s’achèvent pas, ils se réincarnent. On ne rénove pas un stade, on écrit une légende.
En 4 ans, le Stade des Martyrs est passé pour l’endroit où l’inachèvement est devenu patrimoine culturel. Le stade des Martyrs n’est plus un lieu de sport, c’est un concept philosophique. Une réflexion nationale sur l’art de commencer sans jamais finir, de promettre sans jamais livrer. Nous vous ouvrons les portes du seul chantier où chaque ministre pose sa pierre… et repart avec le mortier.
Stade des Martyrs : le fleuron national du provisoire en béton armé
Bienvenue au stade des Martyrs, fleuron national de l’inachèvement perpétuel. Depuis 2021, cette enceinte mythique subit une réhabilitation continue, une opération chirurgicale à cœur ouvert, sauf qu’ici le cœur est en grève et le chirurgien perd ses gants. À ce rythme, on y rénove plus souvent qu’on y joue. Une salle d’attente géante, mais sans médecin.
« Visite du chantier de réhabilitation du complexe omnisports du stade des Martyrs (COSM) par le ministre des Sports Serge Nkonde, le jeudi 5 août 2021, de retour du Japon après les Jeux olympiques. Son premier souci : s’assurer que la date du 20 août 2021, annoncée comme deadline pour la fin des travaux, pourrait être respectée », lit-on, sans rire, dans un article publié sur le site de la Fédération congolaise de football.
2021 : promesses, peintures et illusions ministérielles
Depuis, les travaux avancent à la vitesse d’un jogging sous morphine. On change de ministre plus vite qu’on déplace un sac de ciment. Chaque nomination est une nouvelle bougie sur le gâteau d’anniversaire du chantier. Nouveau ministre, nouveau régime… de promesses.
En 2023, c’est François Kabulo qui hérite du bébé en soins intensifs. Cette année-là, Foot RDC titrait sobrement : « Infrastructures : le stade des Martyrs fermé ». On apprend alors que les précédents travaux, sous Serge Nkonde, étaient « insuffisants ». Comprendre : de la peinture sur un bras cassé. Résultat, la CAF refuse d’homologuer ce temple du football bricolé.
Un mythe de Sisyphe version béton : à chaque ministre sa pierre
Le stade des Martyrs n’est plus une enceinte sportive : c’est une parabole bétonnée sur le mythe de Sisyphe. Chaque ministre pousse sa pierre, caméra à l’épaule, avant de la laisser rouler sur les pieds du suivant. Une œuvre collective sans fin, sans but, sans honneur. Une prière en béton armé adressée au Dieu de l’incompétence.
Le jeudi 19 juin 2025, Didier Budimbu, dernier en date à entrer dans la ronde, visite le lieu. Diagnostique clinique : rechute. « Dans deux semaines, on va fermer le stade pour lancer les travaux nécessaires. En septembre (ndlr : pour les Éliminatoires Coupe du Monde 2026, les Léopards recevront le Sénégal à Kinshasa), on aura un stade digne du grand Congo », déclare-t-il, avec l’optimisme résigné d’un dentiste qui annonce une sixième carie.
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Stade des Martyrs : la série Netflix de l’échec programmé
Le stade des Martyrs, c’est comme une série Netflix : chaque saison commence par un teaser tonitruant, une intrigue vague, et une fin reportée à la saison suivante. On croyait que seules les rencontres de football duraient 90 minutes. Ici, les rénovations durent 90 mois. Renouvelables. À volonté.
Un temple du sport devenu mausolée de l’État congolais
C’est là que réside le génie de ce lieu : être à la fois le temple du sport et le mausolée du sérieux. Une cathédrale de béton où l’on rénove en boucle sans jamais finir, où l’on ferme pour mieux refermer. Un monument à la gloire de l’inabouti. Un chef-d’œuvre de l’éphémère pérennisé.
L’éternel duel : gouvernance hasardeuse vs patience populaire
Le stade des Martyrs, c’est l’espoir usé jusqu’à la corde… flambant neuve. Ce n’est plus une enceinte, c’est un musée. Le Louvre du projet inachevé. Un chef-d’œuvre national au conditionnel présent. Et paradoxalement, le seul match vraiment régulier dans ce stade reste celui opposant la gouvernance approximative à la patience populaire.
Par Marco Emery Momo