Le fait que cette région du Sud-Kivu soit fortement affectée n’est pas un hasard : “c’est une zone de crise complexe, avec de multiples contraintes”, cadre Denis Ripoche, qui s’y est rendu en juillet pour évaluer la crise de la Mpox, et les actions de son ONG Vétérinaires sans frontières Belgique (VSF) qui lutte avec d’autres ONG contre la propagation des épidémies zoonotiques au sein des populations animales et humaines de la région. Cette zone connaît beaucoup de mouvements : commerciaux, naturels mais aussi des mouvements, actuellement impulsés par les contraintes sécuritaires en particulier sur le Grand Nord-Kivu, juste à côté du Sud-Kivu. Ces mouvements sont dus aux avancés du M23, un groupe armé qui évolue au Nord-Kivu. Avec l’avancée des groupes militaires, les populations fuient. Ces mouvements se font dans le plus grand désordre puisque les gens fuient les combats lorsque ceux-ci apparaissent. Les réfugiés internes dus à la crise du M23 sont de l’ordre de plusieurs centaines de milliers. Ces fuites-là sont très difficiles à contrôler et propager des maladies, puisque s’il ya des gens qui sont malades, ils vont se déplacer avec la maladie. Par ailleurs, c’est une zone où le potentiel initial (de zoonoses épidémiques, NdlR) était déjà assez élevé, vu la très forte biodiversité due au parc naturel de Kahuzi-Biega. Il y avait déjà beaucoup d’interactions entre les populations humaines et généralement les populations animales sauvages et domestiques.”
La probabilité d’infection au mpox en Belgique est faible, selon le Risk Management Group
“La situation devient de plus en plus inquiétante”
L’origine de l’épidémie dans la zone pourrait d’ailleurs être due à un homme venu de Kisangani pour travailler dans les mines de la cité minière de Kamituga, dans l’ouest de la province, et où se pratique aussi le commerce de viande de brousse. Des cas de Mpox avaient déjà été suspectés à cet endroit dès mars chez des porcs ainsi que des humains, sans que l’on sache qui avait contaminé qui. L’actuelle flambée a commencé vers le mois de juin, selon VSF.
Et actuellement, la Mpox continue de se propager rapidement au sein de la population et cette diffusion s’accélère ces dernières semaines, constate le Dr Vincent Sanvura, qui coordonne pour VSF le projet de prévention des zoonoses One Health (Une seule santé) dans la région du parc de Kahuzi-Biega. . “La situation devient de plus en plus inquiétante, observe le Dr Sanvura depuis la RDC. Tout d’abord, la maladie touche davantage la tranche d’âge la plus vulnérable que sont les enfants. Or, nous approchons de la rentrée scolaire (ce sera le 2 septembre) et les écoles sont des lieux de rassemblement… La situation inquiète aussi vu la célébrité de la maladie, cela a commencé du côté de Katunga et au bout de quelques mois, elle s’est répandue dans toute la province. la zone de santé de Miti-Murhesa (où son projet One Health est actif et situé au nord de Bukavu, NdlR) reste en pole position en termes de cas. Ce qui nous inquiète aussi pour notre zone de santé est qu’elle se trouve au. carrefour de plusieurs routes, dont celle de Goma. Des cas asymptomatiques peuvent facilement se retrouver dans les zones indemnes pour se manifester plus tard et faire éclore la maladie dans ces endroits. On ne sait pas contrôler ces mouvements de population…”
Dr Vincent de Paul Sanvura, chef de projet One Health pour VSF. ©Jugaad Prod – Thomas Cytrynowicz /Vétérinaires sans frontières-Médecins du Monde
“Vu les capacités d’accueil faible”, les risques d’un débordement des services de santé par le nombre de malades Mpox dans la zone de santé sont réels, selon ce qui ressort des réunions avec le Service de gestion des incidents local, rapporte le Dr Sanvura. “Et plus il ya débordement, plus il ya risque de propagation”. En effet, paradoxalement, les hôpitaux eux-mêmes peuvent être des lieux de contamination importants. En effet, ici, vu les difficultés du système de santé, les hôpitaux ne fournissent ni nourriture ni « garde-malade » ; c’est la famille du patient qui est en charge. “Lorsque les enfants sont atteints, ils sont accompagnés de leurs parents, ils passent tous la nuit dans une même chambre ce qui fait que l’enfant peut facilement contaminer la mère ou les familiers qui apportent à manger, décrit Vincent Sanvura. En outre, Lorsqu’un enfant est malade, on ne peut pas refuser de les toucher. On le soutient psychologiquement dans sa souffrance et les proches sont alors exposés à la maladie. Cette absence de nourriture dans les hôpitaux a même poussé les malades qui se retrouvent en quarantaine dans des centres de santé de Kamituga… à s’évader pour s’alimenter, raconte le Dr Sanvura : “Cela a contribué à propager la maladie ailleurs…”
Capacités de diagnostic limitées
Autre problème : les capacités de diagnostic en laboratoire, permettant de détecter les cas de Mpox, “font énormément défaut”, alerter Vincent Sanvura. “Pourtant c’est la composante la plus essentielle dans le contrôle des maladies, surtout des zoonoses (maladies humaines d’origine animale comme la Mpox, NdlR). On est donc incapable de mener des analyses même des personnes contact pour isoler l’argent pathogène. Des personnes asymptomatiques circulent et donc le virus circule aussi dans la population…” Pour les traitements (qui soignent les symptômes), la zone de santé compte sur les promesses de l’Unicef de mettre 15 000 kits de soins à disposition des hôpitaux. locaux. Un point positif : au Sud-Kivu, le taux de létalité d’un pour cent est bien en dessous de celui de la province de l’Équateur qui est de 5,4 %. “Les cas sont plutôt bénins, constate Vincent Sanvura. Mais dans la zone de santé, sur plus de 300 cas, nous avons eu tout de même six morts : trois adultes et trois enfants.”
Activité de prévention de la Mpox au Sud-Kivu. ©MSF RDC
Vu la complexité de cette situation et les manques de la composante Labo, “ce sont les mesures de prévention sur lesquelles il faut davantage marteler afin de changer les comportements des gens”, affirme le docteur vétérinaire. Ensemble, VSF, l’ONG Médecins du Monde Belgique et l’association environnementale congolaise ADMR, avec le financement de la Coopération belge, ont mis sur pied un réseau communautaire pour repérer, prévenir et sensibiliser la population locale aux zoonoses. C’est ce réseau qui a identifié les premiers cas de Mpox dans sa zone d’activité. Plusieurs centaines d’habitants de la région du parc de Kahuzi-Biega ont donc été formés, y compris dans des zones reculées, pour conseiller les gestes barrières (lavage des mains à l’eau chlorée, éviter les rassemblements…) pour cette maladie qui se transmet par contacts rapprochés, repérer les symptômes (fièvre, éruption cutanée…) et réorienter les patients si besoin vers les services de santé.
Mais aussi mener des sensibilisations afin de stopper ou éviter la stigmatisation dont les malades de la variole du seul font l’objet : “vous connaissez la solidarité africaine, on est tout le temps chez les voisins ! Mais quand une personne est atteinte de la Mpox , c’est l’ensemble de la famille que tout le monde essaie d’éviter ! Cela fait donc une distance sociale et perturbe les relations entre les gens…”
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“Il est important d’être solidaire avec la RDC”
Les principales stratégies des autorités congolaises misent elles aussi sur la communication des risques sanitaires et la responsabilisation de la communauté face à la maladie, la sensibilisation aux comportements à risque et les traitements des cas enregistrés avec l’aide des partenaires étrangers (OMS, Unicef… ). Le ministre de la Santé a par ailleurs signalé que la RDC avait besoin de 3,5 millions de doses de vaccins. Celles-ci seront fournies par les pays étrangers (dont la Belgique) et le pays s’attend à recevoir les premières doses dès la semaine prochaine.
Pour Denis Ripoche, responsable de VSF dans l’Afrique des Grands Lacs, le nombre de vaccins sera de toute façon inférieur aux besoins. “Il faudra faire des choix : cibler les populations les plus vulnérables (enfants, femmes enceintes, travailleurs du sexe ?), les zones les plus vulnérables et les zones les plus accessibles… Tout cela devra être croisé. Et certaines zones ne pourront pas être atteignables, notamment pour des raisons de sécurité… Cela dit, s’il ya une réponse rapide aux demandes des autorités congolaises – qui ont été selon moi rapides et réactives, ne minimisent pas la situation et proposent un plan qui m’apparaître sensé pour ce que je vois – et qu’on leur donne les moyens de réagir, je pense qu’il n’y a pas de raison de penser que l’épidémie puisse échapper au contrôle, si on laisse faire les choses, cela pourrait. bien plus flamber.”
Le centre de traitement Mpox du Nyiragongo General Referral Hospital, au nord de Goma, le 17 août. ©AFP ou concédants de licence
La Belgique concernée
L’humanitaire juge la réponse de la communauté internationale également à la hauteur, tout en ajoutant que c’est aussi dans le propre intérêt de celle-ci ! “La RDC n’est pas abandonnée par le reste du monde. Avec Ebola et le Covid, un apprentissage et une intelligence mondiale se mettent en place et permettent de comprendre que ce qui se passe en RD-Congo concerne le monde entier. Bien sûr , le réveil est plus fort depuis que l’OMS a lancé son alerte internationale et que des cas apparaissent dans les pays autres qu’africains. La situation au Congo concerne directement la Belgique parce qu’on voit avec la transmission qui se fait que le. monde est un village et que ce qui se passe dans la maison du voisin peut arriver chez nous aussi. Donc là, il est important d’être solidaire de ce qui arrive à nos voisins, on sait qu’il y a énormément d. ‘échanges, dû à l’histoire, entre la Belgique et le Congo. Il y a une diaspora, des binationaux, des liaisons directes en avion…Puisqu’on voit que des cas arrivent maintenant en Asie du Sud-Est où les échanges paraissent moins. Avec l’Europe, il y a beaucoup de chances que des cas sporadiques importants arrivent en Europe. “
Et Vincent Sanvura d’insister : “Miti se trouve à 10 km de Bukavu. Il y a des bateaux qui font des navettes entre Bukavu et Goma, où se trouve un aéroport international avec des liaisons vers l’Europe et le reste de l’Afrique Des cas asymptomatiques peuvent quitter Bukavu et Goma pour se retrouver dans un coin de l’Afrique et en Europe, voilà le plus grand danger !”






