Dans la décennie 2010, la Linafoot a certainement vécu son apogée. Nous nous souvenons encore des années 2000 lors des grands derbys au stade Tata Raphaël entre Dragons Bilima et DCMP avec des panneaux jaunes ayant des mentions SKOL en rouge comme sponsor. Nous pensons aux inoubliables Lupopo-Mazembe, que dans mon cas je suivais depuis le canapé avec mon père au salon à Kalemie.
Puis Mazembe, Vita, et DCMP dans une certaine mesure, ont amené la réputation du championnat congolais à sa plus haute sphère. Selon l’IFFHS, la Linafoot de cette époque figurait dans le classement des cinq meilleurs championnats en Afrique, aux côtés de l’Égypte, l’Afrique du Sud, la Tunisie et le Maroc. Rien que ça.
L’âge d’or…puis le néant
L’attraction médiatique du championnat avait atteint des sommets inégalés malgré les dominations du trio évoqué plus haut. Le secret consistait en une recette : le direct. Lorsqu’en 2011 Trésor Mputu revient de sa suspension par la FIFA, tous les yeux et toutes les maisons ont suivi son retour lors d’un déplacement du TP Mazembe à Kisangani. Son but dès la première minute, diffusé en mondovision sur Digital Congo, symbolise à lui seul à quel point le public s’intéressait à la Linafoot.
https://www.youtube.com/watch?v=vnos-AFXcA0&ab_channel=ToutPuissantMazembe
Il est clair aussi que les dirigeants des chaînes et d’autres à la Linafoot participaient à cette mise en exposition, Frédéric Kitenge qui aujourd’hui dirige Mazembe était Directeur Général de la chaîne Kinoise, Digital Congo à l’époque.
Mais on suivait aussi les matchs de Tout Capable Elima au stade Patrice Émery Lumumba de Matadi, le bouillant derby du Kasaï entre Tshinkunku et Sanga Balende au stade des Jeune de Katoka et parfois les rencontres du Tout Violent Tshipepele passaient en direct sur Radio Okapi le dimanche. C’était alors, à n’en point douter, l’âge d’or alors que les clubs réussissaient des exploits continentaux et la barre de la réputation du championnat était à son paroxysme. Et par voie de conséquence, le public remplissait toujours les stades, dans des ambiances survoltées par des derbys électriques entre les copains de Serge Lofo Bongeli et les guerriers d’Imana avec Gladys Bokese. https://www.youtube.com/watch?v=zkqgvSnUHTI&ab_channel=VCLUBRABBY
À ce niveau, même les médias internationaux ont commencé à jeter leur dévolu sur la Linafoot. Mardi soir, Charles Mbuya puis Patrick Lupika, d’heureuses mémoires, offraient des comptes rendus des matchs les plus attrayants de la journée, le calendrier était à peu près suivi, les rencontres se disputaient un peu partout en RDC : Kindu, Kananga, Kinshasa, Lubumbashi, etc.
Puis, tout cela a disparu.
Plusieurs causes peuvent expliquer cette décadence. Les chaînes câblées connaissent une ascension fulgurante, le public préférant regarder Mo Salah, le Real Madrid ou les stars du football européen aux starlettes locales, les chaines nationales ont de moins en moins investi dans la diffusion du championnat et les clubs ont baissé leurs performances en Afrique.
Et surtout, le mode de consommation du public a évolué, sinon changer. Si avant on préférait aller au stade, il n’est pas rare aujourd’hui que l’on regarde le match sur son smartphone ou via d’autres appareils connectés à partir des liens obscurs sur Facebook, YouTube et autres. Pour retrouver l’attractivité, la Linafoot doit donc se réinventer. C’est urgent. Voici comment.
Ouvrir les portes aux journalistes
En RDC, le coût de voyage est extrêmement élevé. Les journalistes et les médias n’ont pas souvent assez de moyens pour envoyer leurs rédacteurs et caméramans sur chaque lieu de matchs. En termes de superficie, le Congo couvre une surface aussi grande que l’Europe occidentale. Les rencontres diffusées se concentrent donc à Lubumbashi et surtout à Kinshasa pour un championnat qui devient de moins en moins représentatif des publics variés de Kindu à Goma en passant par Bukavu et le centre du pays. Le public a donc du mal à s’’identifier à un produit qui montre les mêmes stades tous les weekends, les mêmes équipes et les mêmes visages.
La Linafoot peut/doit associer les journalistes aux déplacements des clubs à Kalemie, Kindu ou à Mbuji-Mayi lorsque les matchs s’y jouent. Deux ou trois places pour que les journalistes couvrent les matchs sur le terrain, en immersion et avec un regard qui apporte une plus-value. Et cela ne coûtera pas plus qu’il n’en est aujourd’hui avec le déplacement des clubs. Les journalistes de Lubumbashi peuvent ainsi se rendre à Kindu, ceux de Bukavu à Kinshasa et apporter du sang neuf dans la couverture médiatique d’un championnat de plus en plus monochrome. Cela impliquera une mutualisation de forces, un peu de moyens supplémentaires, mais les résultats peuvent en valoir la peine. Les médias auront donc un devoir de promouvoir le championnat à coup de programmes en direct, des émissions et surtout des directs partout où se jouent les matchs du championnat.
S’adapter aux nouveaux paradigmes
Si aujourd’hui les chaines congolaises ont pris d’assaut la diffusion câblée, c’est bien parce que les tendances ont évolué. Le public privilégie ce mode de consommation et les médias s’adaptent. Pourtant, si tout le monde n’a pas Canal+ chez lui, de plus en plus d’internautes congolais sont sur les réseaux sociaux. Selon la dernière étude de Ookla, près de 30 millions de Congolais se sont connectés sur internet en 2023. Sur ces 30 millions, près de 10 millions sont sur les réseaux sociaux.
Au total, 53,36 millions de connexions mobiles cellulaires ont été enregistrées en janvier 2024, ce qui équivaut à 51,4% de la population. Les statistiques de la télécommunication renseignent des augmentations des unités consommées et des Data mobile de 4,2 % et 5,6 % respectivement, attestant le dynamisme de la demande dans ce secteur.
En s’associant aux journalistes ou aux producteurs de contenus, la Linafoot doit diffuser son championnat en direct sur les réseaux sociaux et régulièrement publier des capsules des temps forts des rencontres du jour. Si vous faites un tour sur le X de la Linafoot, qui n’a pas encore rebrandi ses comptes au nom de son nouveau sponsor (une bourde), rien sur le championnat. Sur YouTube, quelques directs de matchs de Kinshasa et puis c’est tout. Ailleurs, c’est le vide, dont la nature a horreur.
Un choc DCMP-Vita diffusé sur Facebook ou YouTube drainera du monde et une visibilité inattendue à la ligue, un argument qui peut valoir son pensant d’or lorsqu’il faudra négocier les contrats de sponsoring. Quelle est la dernière fois qu’une vague d’influenceurs a parlé de la Linafoot sur TikTok, sur Instagram ou sur Facebook ?
Ce ne sont que deux propositions. Elles valent ce qu’elles valent, mais elles signifient surtout que les alternatives existent pour redorer le blason d’un championnat qui peine à trouver un public dans un pays de 100 millions d’habitants (et plus). Récemment, une émission, VAR Ligue 1 produite par Nyota TV à Lubumbashi a lancé une initiative intéressante qui s’inscrit dans la logique de cette chronique. Je vous en parlerai dans un prochain article. Mais déjà, vous pouvez aller voir les résultats, ils vous surprendront.
Elisha Iragi