Du 17 au 20 octobre, la capitale de la Colombie accueillait la première édition du festival Africa à Bogotá. L’événement a mis en lumière l’héritage culturel de la diaspora africaine – et congolaise en particulier – et ses résonances dans les musiques actuelles. Reportage.
Le festival Africa à Bogotá vient de faire la part belle aux racines africaines de la Colombie. 30% de la population colombienne est en effet originaire d’Afrique de l’Ouest et plus précisément de la région du Congo et de la République démocratique du Congo (RDC). Et comme dans beaucoup de régions d’Amérique ou l’on importa des esclaves, celle de Cartagena dans les Caraïbes, au nord de la Colombie, a connu la rébellion et l’affranchissement de certains d’entre eux qui ont réussi à fuir dans la jungle hostile.
Le même phénomène s’est produit dans toutes les colonies esclavagistes des Amériques et de l’océan Indien, avec notamment les Negmarrons aux Antilles, les Marrons au Brésil et les Cimarrones dans les territoires espagnols. Ces derniers ont réussi à tenir tête à la monarchie espagnole, puis se sont organisés en cité, les Palenques. Celles-ci leur ont permis de conserver non seulement leurs traditions africaines, mais aussi leur nom, leur dialecte, leur musique.
C’est justement ce qu’a voulu mettre en avant le créateur et producteur du festival Cédric David, un Breton en Colombie, en créant ce pont culturel entre les deux continents : “L’élément déclencheur pour arriver à ce festival, c’est en 2012, lorsque nous avons fait venir Amadou & Mariam. Je ne savais pas comment cela allait se passer ici en Colombie, nous les avons présentés dans un grand théâtre où nous avons fait sold-out, et ce qui m’a beaucoup marqué, c’est que dans les semaines qui suivaient, lorsque je rencontrais des gens qui avaient assisté au spectacle, ils avaient encore les yeux mouillés d’émotion, ils avaient pleuré pendant le spectacle, c’était très très fort de pouvoir, enfin, rencontrer l’Afrique pour de vrai.”
Cédric David décide alors de lancer son activité autour des musiques africaines en Colombie et en Amérique latine, avec la création d’Afropicks, une agence de booking et de gestion d’artistes issus de la diaspora africaine, faisant venir des artistes comme Salif Keita, Fatoumata Diawara ou Ballaké Sissoko. “Et finalement, après ce processus, on en arrive à créer ce festival, pour créer des liens dans les deux sens entre la Colombie, l’Amérique latine et le continent africain. Et ce festival va continuer, avec chaque année, un focus différent sur une région différente d’Afrique et intégrera différents aspects culturels et artistiques” précise-t-il.
Colombiens et Congolais réunis
Pour cette première édition, le festival a donc convié des artistes congolais à partager la scène avec des artistes colombiens. En ouverture, le public a particulièrement apprécié la prestation de la DJ Tysha Cee, d’origine congolaise et qui officie à Paris. Puis ce fut le groupe Kin’Gongolo Kiniata, qui, dès les premières notes, a électrisé le public. Nourri des ambiances sonores de Kinshasa, le groupe a la particularité de fabriquer ses propres instruments, avec des matériaux et des objets qu’ils recyclent. Leur nom Kin’Gongolo désigne une onomatopée d’un rythme, issue d’une boîte de conserve frappée par une bouteille de soda. Kiniata signifie « écraser ». Littéralement, c’est le son qui écrase !
Groupe que l’on connait bien sur les antennes de RFI, et qui a déjà joué plusieurs fois en Colombie, Jupiter & Okwess a aussi électrisé le public de Bogota. La formation originaire de RDC a déjà commencé à tisser des liens avec le reste du monde, notamment grâce à des collaborations avec Damon Albarn de Gorillaz, ou Money Mark des Beastie Boys. Mais aussi avec l’Amérique latine : en 2022, Jupiter & Okwess sortaient deux albums remix de leur disque Na Kozonga intitulés, Mexico Is My Land et Brazil Is My Land. Des remixes créés avec la nouvelle scène électro mexicaine et brésilienne et en compagnie d’artistes comme le chanteur brésilien qui monte, Rogê ou la rappeuse chilienne très engagée Ana Tijoux.
Jupiter nous confirme que nombre de musiques latines sont originaires de chez lui : “La musique d’Amérique latine vient de chez nous, car lorsque l’on parle de la rumba par exemple, celle-ci est venue avec les esclaves qui sont venus de chez moi. Et ils ont apporté la rumba, la pachanga, le boléro, la bossa nova, la samba, ainsi de suite : tout ça, ça vient de chez moi ; Et qu’est-ce qui va venir ? La vérité par la culture d’abord. Parce qu’on a écrasé la culture pour qu’on soit coupé de nos frères, et c’est Africa en Bogota qui va embrasser tous les pays. du monde entier, car les Africains vont retrouver leurs ancêtres en Amérique latine.
© RFI/Hugo Casalinho
Le groupe Kombilesa Mi sur la scène du festival Africa à Bogotá, octobre 2024.
Racines africaines
Des artistes colombiens ont aussi marqué de leur empreinte le festival. La modernité de la Colombie s’est vue incarnée par un spécialiste de la cumbia d’aujourd’hui, la cumbia électro de Cerrero y la Marea, le groupe house Ghetto Kumbé qui sort tout droit de la jungle, et dont la musique électronique, très proche de la transe ethnique, se révèle envoûtante.
Et enfin du hip hop, avec une révélation, le groupe de rap Kombilesa Mi, qui revendique ses origines africaines : “Nous sommes fiers d’être palenquero et afro-colombiens, mais aussi d’être africains nés en dehors de l’Afrique. Fier aussi d’être le premier peuple noir d’Amérique libre. C’est ce que nous chantons, ce que nous rappons et c’est ainsi que nous faisons le lien On appelle notre zone de Palenque le coin de l’Afrique. Et beaucoup de personnes qui veulent aller en Afrique viennent à Palenque afin de se reconnecter avec leurs racines et rencontrer leurs ancêtres parce que nous tous, au plus profond de nous-même, nous avons quelque chose de noir.”
Une première édition du festival Africa en Bogotá pleine de succès, où l’on aura pu apprécier des documentaires, des débats, de la danse, des concerts ainsi que des échanges très riches, qui appellent à d’autres éditions avec d’autres pays. africains.
En attendant, les Colombiens de Kombilesa Mi sont en playlist RFI avec Africa Diverso Continente, un titre très original, car ils rappent en espagnol et en langue palenquera, proche du lingala et uniquement sur des percussions. Ils y racontent toute l’histoire de ces afro-descendants, les Cimarrones.