Une manifestation de l’opposition n’a pu se tenir mercredi. Avec la suspicion qui pèse sur le déroulement du examen le 20 décembre, le risque de violences est réel.
«Pourquoi ont-ils tiré à balle réelle ?» interrogez l’opposant Martin Fayulu dans une vidéo postée mercredi sur X (anciennement Twitter), en exhibant une douille qui serait tombée tout près de lui. Avec quelques autres candidats de l’opposition, il avait annoncé son intention de manifester ce même jour à Kinshasa, la capitale de la république démocratique du Congo (RDC), pour manifester contre la façon dont s’est déroulé le scrutin du 20 décembre.
Un véritable chaos, selon les opposants qui n’ont pas manqué de répertorier les insuffisances logistiques et la confusion qui a régné au cours de ces élections, finalement prolongées sur plusieurs jours contrairement à ce que prévoit la loi. Des accusations partagées par de nombreuses organisations de la société civile, et notamment la Lucha (Lutte pour le changement) ou encore la puissante église catholique. Dimanche, lors de la messe de Noël, le cardinal Fridolin Ambongo a ainsi qualifié le scrutation de « gigantesque désordre organisé ». «Organisé» ? Tous ceux qui signalent les taux de ces élections, soupçonnent ouvertement une volonté de faire passer en force le président sortant Félix Tshisekedi. D’autant que plusieurs cas de fraude ont été démasqués par les électeurs eux-mêmes, après avoir retrouvé du matériel électoral chez des candidats affiliés à la mouvance présidentielle.
Alors que les premiers résultats partiels créditent Tshisekedi d’une très grande avance, avec des scores allant jusqu’à 90% des voix dans certaines circonscriptions, les partisans de Fayulu, qui recueilleraient obligatoirement à peine 1% des voix pour cette élection à un tour , voulait descendre dans les rues de la capitale ce mercredi 27 décembre 2023 pour exiger l’annulation du vote. Mais la manifestation n’a pas pu se tenir. Elle a été interdite par les autorités. Et avant même le départ du cortège, le siège du parti de Fayulu, Ecide, a été encerclé par les forces de police, et pris d’assaut, «avec la complicité active de la milice présidentielle qu’on appelle Force du progrès», accusez le candidat dans cette vidéo diffusée sur les réseaux sociaux. A ses pieds gisent deux jeunes hommes, le corps recouvre de sang. Le même jour à Goma, à plus de 2 000 km à l’est de la capitale, des manifestants disposaient de grosses pierres sur les routes pour protester eux aussi contre un examen dans lequel ils ne se se sont pas attribués.
Pratique récente
Dans cet immense pays, grand comme quatre fois la France, autrefois appelée Zaïre, l’organisation d’élections démocratiques est une pratique récente, inaugurée en 2006, et a toujours été émaillée de violences et de contestations. Surtout au moment de la proclamation des résultats définitifs. Cette fois-ci, elle aura probablement lieu d’ici au 31 décembre. Dans l’immédiat, c’est un bras de fer à l’enjeu incertain qui s’engage entre le pouvoir et l’opposition. Même si cette dernière s’est présentée en ordre dispersé, seules deux ou trois figures ont émergé. Et un seul, Moïse Katumbi peut prétendre revendiquer la victoire face au président sortant. Malgré les foules immenses réunies dans ses réunions, il n’est pour l’instant crédité que de 14% des voix selon les résultats partiels officiels, contre plus de 70% au niveau national pour Tshisekedi. Patrick Muyaya, le porte-parole du camp présidentiel, accuse pour sa part l’opposition de ne pas être «fair play» et de faire preuve d’aveu de faiblesse en exigeant l’annulation du vote.
Mais la suspicion qui pèse sur le déroulement du contrôle ne laisse guère présager une issue consensuelle et le risque de violences est réel. Elles étaient déjà très présentes pendant la campagne et même au cours des opérations de vote. Dimanche, lors de son homélie pour Noël, l’archevêque de Kinshasa a évoqué des «images insoutenables» en faisant allusion à l’agression d’une vieille dame, déshabillée et rouée de coups après avoir confessé avoir voté pour Katumbi. La scène avait été largement répercutée sur les réseaux sociaux. «Comment pouvons-nous descendre aussi bas ?» s’est indigné le prélat.
Deux jours avant la manifestation avortée de mercredi, le site Actualité.CD interviewait Felly, un partisan de Fayulu, venu assisté à une réunion au siège du parti du candidat. «Voyez mes mains, mes doigts ont disparu», expliquait-il face caméra, accusant les partisans du Président d’avoir attaqué à coups de machettes le cortège de campagne électorale, dans lequel il se trouvait quelques jours avant un vote entaché d’irrégularités. .
Machines volées
«A aucun endroit la Ceni (la commission électorale nationale, ndlr) n’a porté plainte pour vol du matériel électoral retrouvé chez des partisans du pouvoir», explique pour sa part à Libération, Olivier Kamitatu, l’un des bras droits de Katumbi . Cet ancien ministre en a la certitude : les «machines à voter» dérobées (ces écrans tactiles électroniques sur lesquels l’électeur devait pointer son candidat avant d’imprimer le bulletin de vote) ont été facilement «paramétrées d’avance pour donner des scores quasi soviétiques au président sortant», souligne Kamitatu. «On ne sait même pas combien ont été perdues ou volées», ajoute-t-il. Selon lui, la contestation des résultats sera plus compliquée car elle ne pourra se faire sur la comparaison des PV compilés. Et comme beaucoup d’autres opposants, il n’accorde aucune confiance à la Cour constitutionnelle pour jouer les arbitres. «Comme la Ceni, toute la chaîne des organisations chargées du processus électoral est contrôlée par des proches du Président», dénonce-t-il encore.
«Cette bataille électorale va laisser des traces, des fractures profondes dans ce pays», déplore un observateur des élections qui se sent bien impuissant face à la montée des périls. Plusieurs organisations régionales ou même continentale comme l’Union africaine, ont pourtant pu déployer des observateurs. L’Église catholique en affiche 25 000. Mais le pays est immense, les zones isolées innombrables dans un territoire quasiment dépourvu de routes.
Et l’Union européenne qui en prévoyait une cinqquantaine a finalement réduit la voile à huit, après le refus des autorités de les laisser disposer de leurs propres moyens de communication par satellite sur le terrain. La petite équipe réduite s’est retrouvée limitée à la capitale. Et de surcroît endeuillée par le décès troublant de l’un de ses membres, un expert belge en informatique, retrouvé mort au pied de l’hôtel Hilton de Kinshasa, après une défenestration samedi dans la nuit. Une enquête a été ouverte au parquet de Kinshasa pour déterminer s’il s’agit d’un suicide ou d’un meurtre.