Le gouvernement de la République démocratique du Congo a décidé de reprendre les exécutions capitales, notamment contre les militaires accusés de trahison ; et ce dans un contexte de guerre dans l’est du pays. C’est ce qui ressort d’une circulaire signée mercredi 13 mars par la ministre de la Justice, Rose Mutombo. Le rétablissement des exécutions vise à « éliminer l’armée de notre pays des traîtres (…) et d’endiguer la recrudescence d’actes de terrorisme et de banditisme urbain entraînant mort d’homme », s’est-elle expliquée, ajoutant que le rétablissement des exécutions vise à éliminer l’armée des traîtres. Le texte vise également les auteurs de « banditisme urbain entraînant mort d’homme ».
C’est en février dernier que le vice-Premier ministre de la Défense nationale Jean-Pierre Bemba avait annoncé avoir soumis cette recommandation « lorsqu’il s’agit de cas de trahison au sein des FARDC », lors d’un conseil supérieur de défense présidé par le président Félix Tshisekedi en février. Le texte a ensuite été soumis au ministère de la Justice avant d’être remis au chef de l’État, qui a tranché.
Fin du moratoire de 2003
La peine de mort n’a pas été appliquée depuis 2003 et la signature d’un moratoire sous le régime du président Joseph Kabila (2001-2019), même si des condamnations à mort continuent d’être prononcées. Pour la ministre de la Justice « ce moratoire était, aux yeux de ceux qui commettent des infractions, comme un gage d’impunité, car, même condamné, ils étaient assurés que cette peine ne serait jamais exécutée ».
Le gouvernement a justifié sa décision par la nécessité de lutter contre la « trahison » au sein de l’armée, au moment où la RDC fait face à une escalade des conflits armés, avec notamment la résurgence depuis deux ans du groupe armé Mouvement du 23 Mars (M23), soutenu par le Rwanda, et la nécessité de mettre fin aux violences meurtrières des gangs dans plusieurs villes, dont la capitale, Kinshasa. Selon la note circulaire, les « actes de traîtrise ou d’espionnage ont fait payer un lourd tribut tant à la population qu’à la République au regard de l’immensité des préjudices subis ».
La nouvelle a fait l’effet d’une bombe dans le pays, où les organisations de la société civile et des droits de l’homme sont vent debout. « La décision du gouvernement de rétablir les exécutions constitue une injustice flagrante pour les personnes condamnées à mort en République démocratique du Congo et témoigne d’un mépris total pour le droit à la vie. Il s’agit d’un énorme pas en arrière pour le pays et d’un signe supplémentaire que l’administration Tshisekedi revient sur son engagement à respecter les droits de l’homme », a déclaré Tigere Chagutah, directeur régional d’Amnesty International. pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe, dans un communiqué publié ce vendredi 15 mars.
Impasse
Il faut souligner que le géant d’Afrique centrale fait face à une explosion des violences armées. Le groupe M23 a repris ses attaques au Nord-Kivu en novembre 2021. Il affirme lutter pour la mise en œuvre des accords politiques antérieurs avec le gouvernement congolais, qui prévoyaient, entre autres revendications, le retour en toute sécurité des réfugiés congolais tutsis. Le groupe a depuis pris – avec l’appui de l’armée rwandaise – plusieurs villes du Nord-Kivu, province de près de 60 000 km2 frontalière du Rwanda et de l’Ouganda. Après plusieurs mois de calme relatif suite à un cessez-le-feu, d’intenses combats ont repris en février. L’armée congolaise combat aux côtés de dizaines de milices locales, de mercenaires européens et d’autres armées, tandis que le M23 continue de bénéficier du soutien du Rwanda, selon les rapports de l’ONU.
Un message rédigé aux militaires congolais
Dans ce contexte, les autorités soupçonnent des infiltrations au sein des forces de sécurité. De nombreux militaires, y compris des officiers supérieurs des FARDC (Forces armées de la RDC) mais également des personnalités politiques ou publiques ont été arrêtées ces dernières années, accusées de « complicité avec l’ennemi ». « Que les personnes condamnées à mort soient dans l’armée ou la police nationale, dans des groupes armés ou ont été impliquées dans des violences de gangs, chacun a droit à la vie et ce droit à la protection. Cette décision cruelle mettra en danger la vie de centaines de personnes condamnées à mort, notamment celles qui se trouvent dans le couloir de la mort à la suite de procès inéquitables et d’accusations motivées par des considérations politiques », a pointé Amnesty International. « Avec un système judiciaire inefficace, que le président Tshisekedi a lui-même qualifié de « malade », la décision effroyable du gouvernement signifie que de nombreuses personnes innocentes risquent désormais d’être exécutées. Ceci est encore plus alarmant compte tenu de la répression actuelle contre les opposants politiques, les militants des droits de l’homme et les journalistes », s’alarme aussi l’organisation internationale de défense des droits de l’homme.
La réaction est vive aussi du côté du mouvement citoyen congolais pro-démocratie Lucha (Lutte pour le changement), qui condamne sur X la levée du moratoire, estimant que cette décision ouvre « un couloir à des exécutions sommaires dans un pays où le fonctionnement défectueux de la justice est reconnue par tous, y compris même le magistrat suprême lui- », référence aux critiques récentes du président Félix Tshisekedi envers le système judiciaire de la RDC qu’il estime être « malade, même dans le traitement des dossiers ».
En plus d’être anticonstitutionnelle, la levée du moratoire sur l’exécution de la peine de mort en #RDC ouvre un couloir à des exécutions sommaires dans ce pays où le fonctionnement défectueux de la justice est reconnu par tous, y compris le magistrat suprême lui-même. 1/2 pic.twitter.com/tAN1evZPGb
-LUCHA ���� (@luchaRDC) 15 mars 2024