Edouard Mokolo, ancien conseiller principal du président Mobutu, accompagné de Mohamed ALi pendant ses trois mois passés à Kinshasa. Il se souvient.
C’était le 30 octobre 1974. Kinshasa, la capitale de la République du Zaïre, devenait, le temps d’un combat de boxe, le centre du monde.
Dans le stade du 20 mai, devenu stade Tata Raphaël en 1997 en hommage au père scheutiste belge Raphaël de la Kethule de Ryhove, devant plus de 60 000 spectateurs surchauffés, Mohamed Ali, 32 ans, allait défier George Foreman, 25 ans, champion incontestable du monde des poids lourds.
Ce combat, rebaptisé « Rumble in the jungle » (baston dans la jungle), était suivi avec attention particulière par Edouard Mokolo, le jeune conseiller principal du Maréchal Mobutu. Cinquante ans plus tard, même s’il explique que « les souvenirs sont hélas très lointains », Edouard Mokolo, qui est ensuite devenu notamment ambassadeur du Zaïre à Paris et ministre des Affaires étrangères et de la Coopération, se souvient « du charme » de Mohamed Ali qu’il a accompagné pendant les trois mois de son séjour à Kinshasa.
« Il avait 32 ans et moi, 30. Nous parlions ainsi un langage générationnel », explique-t-il. « Son personnage savait attirer de la sympathie. À peine débarqué à Kinshasa, il a été adopté par la majorité de la population zaïroise. Il s’est même donné la peine d’apprendre quelques mots de lingala ! C’est ainsi qu’est né son fameux cri de guerre « Ali boma ye » (Ali tue-le) qui a ponctué tout le combat contre Foreman ».
« Un côlon flambant »
George Foreman, champion du monde en titre dans la catégorie poids lourds, sept ans plus jeune que son adversaire, semblait imbattable. “C’était une montagne de muscles, une terreur des anneaux”, se souvient M. Mokolo, qui poursuit : “Pour les parieurs, Ali était donné battu au 2e ou au 3e tour.” Mais « The great », comme il s’était surnommé lui-même, l’a finalement emporté sous les yeux d’une foule tout acquis à sa cause dans la nuit zaïroise. Le combat avait en effet été organisé en pleine nuit pour pouvoir être retransmis en direct aux États-Unis.
« Contrairement à Ali, Foreman était plus taciturne, plus fermé, toujours flanqué de son berger allemand. “Pour de nombreux supporters kinois, il est passé pour un “colon flamand”, une accusation entretenue malicieusement par son adversaire”, explique encore M. Mokolo qui se souvient du moment de stress, un mois avant la date initiale du combat, quand Foreman s’ est blessé à l’arcade sourcilière. « On a été inquiet car Foreman voulait annuler le combat et reprendre son avion. Finalement, il s’est enfermé dans son hôtel, fuyant la faute acquise majoritairement à son adversaire ! Quant à Ali, il faisait régulièrement son jogging le long du fleuve, à la joie de ses nombreux fans et il n’hésitait pas à serrer des mains, ce qui augmentait sa popularité dans les faubourgs de Kinshasa. Il allait aussi régulièrement s’entraîner dans le domaine de la N’Sele, à 40 km de la ville ! Ce fut une période délicate à gérer ! Il aimait surtout la faute, ce qui est peu compatible avec les conditions particulières de sécurité dont il devait être entouré ».
Le coup de com’ de Mobutu
Ce combat de boxe, considéré longtemps comme l’événement sportif le plus regardé du XXe siècle, est un des premiers grands « coups » de soft power mondial. « C’est Tony Bula Mandungu, conseiller en charge de la presse internationale qui, après avoir convaincu le célèbre promoteur Don King d’organiser un combat de Noirs, agence par des Noirs dans un pays de Noirs, a proposé le deal à Mobutu » , se souvient M. Mokolo. « Le contexte de 1974 se prêtait à l’événement. Le Zaïre était enlisé dans une zaïrianisation aux objectifs certes louables mais aux effets catastrophiques. Il était donc en quête d’une action d’éclat pour redorer son image. Le « Combat du siècle » était une aubaine. Dans sa stratégie, le Président Mobutu était convaincu de concentrer vers le Zaïre les phares de l’actualité mondiale.
Le combat de boxe devait être le paroxysme d’un mois de festivités marqué notamment par un Festival international de musique “avec les artistes américains de renom, tels que James Brown, BB King, Bill Withers, Johnny Pacheco, Celua Cruz, les Spinners, et autres artistes étrangers comme Myriam Makeba, Hugh Massekela, et les Zaïrois comme Franco et Tabou Ley », poursuit M. Mokolo qui se souvient que le président Mobutu avait aussi « envoyé aux États-Unis un DC10 de la compagnie zaïroise avec des pilotes et un équipage zaïrois. L’appareil a fait le tour du pays pour embarquer la délégation américaine ! À l’arrivée à Kinshasa, c’est évidemment Ali qui a débarqué le premier à la tête de cette délégation.
Deux vainqueurs
Un Mohamed Ali qui n’a pas pu cacher son plaisir de découvrir cet équipage africain aux commandes de l’avion. « Ali avait été surpris par son contact avec la terre africaine. Surpris par le Zaïre et les Zaïrois. Il y avait en permanence un regard marqué par la situation des Noirs aux États-Unis et la conquête des droits civiques ! Il faisait d’ailleurs de ce combat un symbole de libération de l’homme noir. Je me souviens encore que Le courant est passé tout de suite lors de sa première rencontre avec le Président Mobutu. Ali a d’ailleurs adopté le costume zaïrois (le fameux Abacost – A bas le costume, NdlR).
Les deux hommes sont les grands vainqueurs de ce combat. Ali est redevenu champion du monde des poids lourds. «Il a considéré sa victoire comme un miracle. La victoire de l’homme noir contre le candidat de l’establishment. Le président Mobutu, lui, a remplacé le Zaïre sur la carte du monde ! Les deux hommes vont aussi bousculer bien des idées reçues sur le continent africain. « je me souviens qu’Ali, vêtu de l’abacost, après sa rencontre avec le Président Mobutu, a expliqué qu’il avait crû, suite aux images véhiculées aux États-Unis, que le Zaïre n’était qu’une immense jungle avec beaucoup d’animaux sauvages… Alors que je viens de trouver un peuple amical dans un pays structuré avec des aéroports, des jolies maisons, des hôtels, la jungle se trouve plutôt à New York avec des flics armés jusqu’aux dents partout !
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